Ce petit coin de nature est le cadre idéal…
Il y aurait de quoi rendre aphone Jean-Claude Ameisen, le chaînon manquant entre Barry White et Hubert Reeves qui anime Sur les épaules de Darwin sur France Inter : quoique quittant les verdoyantes contrées corréziennes de Meymac pour la grisaille urbaine de Clermont-Ferrand, les Rencontres des médias libres (cf le Ravi n°167) se sont encore révélées cette année un biotope favorable pour la presse et les médias « écolos », faisant preuve là d’une capacité d’adaptation remarquable.
Car, outre les vétérans de S!lence et nos voisins alpins L’Âge de faire, ces rencontres ont été l’occasion d’accueillir pour un débat sur Notre-Dames-des-Landes Hervé Kempf, ancien du Monde et fondateur de Reporterre. Un site web entièrement gratuit qui ambitionne d’être ni plus ni moins que le « quotidien de l’écologie » et qui dispose d’une force de frappe impressionnante : quand le Ravi fait sa chronique intitulée « C’est quoi ce travail ? » sur le blues d’un installateur de compteurs Linky (cf le Ravi n°165), le même sujet traité par le site sera lu par « près de 200 000 internautes », s’enorgueillit celui qui évalue l’audience quotidienne à environ 20 000 lecteurs.
Non content de faire partie des « happy few » qui auront peut-être la chance d’intégrer la « maison des médias libres » qu’un millionnaire envisage de mettre à disposition de plusieurs médias parisiens, après 6 ans d’existence, le site, refusant la publicité, tire 80 % de son budget (450 000 €) de « dons », de quoi faire vivre une équipe d’une dizaine d’ETP (équivalents temps plein).
Un véritable rouleau-compresseur, au regard de l’audience plus modeste – et des difficultés – de S!lence et de L’Âge de faire. Si le premier a le privilège de l’âge – la revue basée à Lyon a été lancée en 1982 – sa récente opération de « crowdfunding » n’est parvenue jusque-là qu’à réunir un peu plus de 30 000 € : « Contrairement à d’autres, on n’est pas des spécialistes des appels à don », sourit Gaëlle Ronsin, la directrice de publication d’un titre dont la diffusion – essentiellement par abonnement – tourne autour de 4000 exemplaires.
Quant à l’Âge de faire, né en 2001 et éditée depuis les Alpes-de-Haute-Provence, si ce mensuel, qui se passe lui aussi des kiosques, a vu son nombre d’abonnés grimper au-delà des 12 000, « on est retombé aux alentours de 8 000. Or, pour vivre, il nous en faudrait presque le double », explique Fabien Plastre, l’un des membres de la coopérative et responsable de la diffusion. D’où une campagne d’abonnement lancée cet été, le journal affichant à la rentrée 600 abonnés supplémentaires.
A l’égard de ses pairs, Hervé Kempf se refuse au moindre commentaire. Tout comme d’être considéré comme le fossoyeur de ses prédécesseurs : « On travaille ensemble. Et l’on est complémentaire. » Confirmation de ses collègues. « Nos principaux concurrents, au-delà d’un journal comme Kaizen, ce sont les gratuits distribués dans les magasins bio », soupire Fabien Plastre. D’où la nécessité de revoir, en quelque sorte, sa copie : « On met toujours en avant les alternatives. Mais l’on traite de plus en plus les sujets politiques. Voire polémiques. Comme le cannabis, Mc Do. Et se pose évidemment la question du web. »
Tant par l’audience que la toile génère, que par ses caractéristiques : le plus souvent la gratuité, la rapidité… Ce qui n’est pas sans risque ! En avril, Reporterre a relayé, avant de se raviser après enquête, ce qui n’était en fait qu’une rumeur en faisant état d’un « blessé grave » voire d’un « mort » lors de l’évacuation par les forces de l’ordre de la fac de Tolbiac, occupée dans le cadre de la mobilisation contre la réforme de l’accès à l’université. De quoi faire grimacer Kempf.
Et cogiter Gaëlle Ronsin de S!lence : « Nous aussi, on réfléchit au web. Et à notre rapport à l’actualité. Parce que, pendant longtemps, on était le journal de l’écologie politique et c’était suffisant. Aujourd’hui, cela ne suffit plus car l’univers médiatique a changé et il y a eu dilution des sujets écologiques dans nombre de médias. Tant mieux pour les idées. Mais cela nous oblige à nous réinventer. » Une capacité d’adaptation à rendre aphone un Jean-Claude Ameisen !