Courtois, à plus d'un titre
Des journalistes qui deviennent conseillers de grands élus, c’est un classique, mais à un tel niveau et à une telle vitesse… c’est du jamais vu ! Ancien directeur départemental de Var-Matin, Philippe Courtois vient d’établir un nouveau record en démissionnant de son poste fin juillet, pour se retrouver quatre semaines plus tard… embauché au cabinet d’Hubert Falco, président (LR) de la métropole Toulon-Provence et chef de file de la droite dans le département. « Déontologiquement, ce recrutement, c’est pas top… », souffle Dominique Pedinielli, présidente du Club de la presse du Var.
Au moment de sa démission, Philippe Courtois profite de la clause de cession qui vient de s’ouvrir au groupe Nice-Matin, propriétaire de Var-Matin. Le tycoon Xavier Niel vient de prendre le contrôle du groupe de presse et, comme le prévoit leur convention collective en cas de modification de l’actionnariat d’un média, les journalistes qui le souhaitent peuvent durant une certaine période démissionner en bénéficiant du droit au chômage. Philippe Courtois fait donc valoir sa clause de cession, et envoie le 12 mai un mail émouvant à ses équipes pour leur annoncer sa volonté de « prendre une nouvelle direction ». « En toute humilité, pour moi, c’est un déchirement, même si j’ai le projet enthousiasmant de créer une agence de conseils en entreprise, en septembre », poursuit dans son message le futur ex-journaliste.
A ce moment, ou jusqu’à la fin de son contrat le 31 juillet, Philippe Courtois a-t-il déjà pris contact avec le cabinet d’Hubert Falco pour y entrer au 1er septembre ? Contactés et relancés à plusieurs reprises, Philippe Courtois, Hubert Falco et Valérie Paecht, directrice générale des services à la métropole, menacent le Ravi de poursuites mais refusent de répondre à toute question. Directeur des rédactions du groupe Nice-Matin, Denis Carreaux affirme pour sa part ne pas souhaiter réagir « à ces questions qui ont trait à la trajectoire personnelle et professionnelle d’un ex-collaborateur qui a choisi de quitter le groupe ».
Virgule magique
Une pudeur qui honore Denis Carreaux, mais qui lui évite aussi de débattre d’un autre fait d’armes de son ancien subordonné. Le 8 mai 2019, le directeur départemental Philippe Courtois prend la plume – sans signer son article mais de sources concordantes il s’agit bien de lui – pour informer ses lecteurs des derniers développements d’une affaire politico-judiciaire. Et pas n’importe laquelle : l’enquête vise 117 sénateurs de l’ex-UMP , dont Hubert Falco, pour le possible détournement, entre 2002 et 2014, de 8 millions d’euros destinés à rémunérer les collaborateurs de la Haute Assemblée. Courtois y décrit un Falco entendu par le juge « en qualité de témoin, assisté de son avocat ». Une virgule étonnante, car susceptible de faire croire au lecteur que l’homme fort de la droite varoise n’est qu’un simple témoin. Or, à cette époque de l’enquête, Hubert Falco est encore placé sous le statut de « témoin assisté » pour « recel de détournement de fonds public ».
Comme le rappelle la direction de l’information légale et administrative du Premier ministre et du ministère de la Justice, « le témoin assisté est une personne mise en cause dans une affaire pénale. C’est un statut entre celui du témoin et celui du mis en examen ». La virgule de Courtois est d’autant plus étonnante qu’elle reprend à l’identique celle utilisée par Hubert Falco dans son communiqué de presse publié après son audition, communiqué cité dans l’article : « J’ai eu la chance de pouvoir m’expliquer […] en tant que témoin, assisté de mon avocat. »
Classement pas classé
Plus curieux encore, dans le même article, alors même que le président de TPM est donc placé sous le statut de témoin assisté et que la justice continue ses investigations, Philippe Courtois assure que « pour Hubert Falco et Jean-Claude Gaudin, l’affaire s’arrête là. Classement sans suite ». « Cet article m’a mis hors de moi ! », s’étrangle encore Dominique Pedinielli. Depuis, aucun rectificatif n’a été à ce jour publié par Var-Matin. Comment expliquer cette erreur factuelle manifeste, sur un sujet hautement sensible concernant la première personnalité politique du département, dans un article de tête de page, écrit par un directeur départemental du principal quotidien local, en poste depuis plus d’un an et demi, qui bénéficie donc de très nombreux contacts locaux et qui peut s’appuyer sur un service faits-divers et justice, bien implanté et informé ? Comment expliquer cette erreur quand la veille, un article portant sur le même sujet publié sur le site web de Var-Matin reprenait certes le communiqué de Falco, mais précisait que ce dernier avait bien été placé sous le statut de « témoin assisté » ? On n’en saura pas plus : sur ces questions aussi, Philippe Courtois préfère rester silencieux. A l’heure actuelle, l’information judiciaire, ouverte en novembre 2013, se poursuit. Et le parquet de Paris confirme qu’Hubert Falco a toujours le statut de témoin assisté…
Quant au passage éclair de Philippe Courtois d’une rédaction à un cabinet politique, il en fait soupirer plus d’un. « Dans cette histoire, c’est le journal et ses journalistes qui y perdent, se désole Dominique Dabin, rédacteur en chef du groupe Nice-Matin de 2003 à 2008. Avec de telles actions, certains n’auront aucun mal à reprendre le slogan « Falco-Matin« , alors que la presse, en quête de crédibilité, joue sa survie. » Rodolphe Peté, délégué SNJ du groupe Nice-Matin, réinscrit cette réorientation professionnelle express dans un cadre plus large : « Ce n’est pas quelque chose de nouveau et cela s’observe partout, y compris à Var-Matin et à Nice-Matin. C’est un vrai problème. » Dans le Var, la pratique est ancienne – « Maurice Arreckx le faisait déjà », se souvient Dominique Dabin – et Hubert Falco n’en est pas à son coup d’essai. En 1998, Daniel Cuxac, alors rédacteur en chef de Var-Matin, le rejoignait comme directeur général de la communication du Conseil général du Var, avant de le suivre en 2001 à la mairie de Toulon.