Regarde les kiosques fermer
On est dans le 16ème arrondissement. Pas le fief de la « madone » des quartiers nord marseillais, la deuxième adjointe de Marseille Samia Ghali ! Mais dans l’ouest parisien. En face, une banque. Sur les côtés : des magazines, des cartes postales. L’action se déroule dans un kiosque. Dans cet espace de moins de 2 mètres carrés, la caméra se veut subjective. Derrière l’objectif, Alexandra Pianelli, artiste-plasticienne qui a décidé de prêter main-forte à sa mère, Marie-Laurence, pour tenir ce commerce « pas pareil » qui est dans la famille depuis quatre générations.
« Ça a l’air simple de vendre des journaux. Sauf qu’il faut mémoriser le nom de 3 000 revues. Leur contenu, leur prix, leur jour de parution. Une marchandise qu’on ne choisit pas mais qu’on paye d’avance… 3 000 revues qui vendent du rêve. Je vends du rêve », raconte-t-elle. En attendant, comme elle n’a pas de WC, une amie lui offre un pisse-debout !
La caméra bouge à peine. Mais c’est tout un monde qui vient à sa rencontre. Alexandra Pianelli filme « ceux qui font vivre le kiosque : les habitués ». Islam, un vendeur à la sauvette sans-papiers, Damien, un SDF qui perd tout le temps son chat mais dépanne de 2 euros une dame qui n’a pas la monnaie pour le métro. Et toute une galerie de personnages hauts en couleur.
Place nette
L’occasion pour ce documentaire coproduit par la branche « culture » de la CFDT de raconter la crise de la presse et de sa distribution. Ce kiosque avait beau compter parmi ses clients l’inventeur de « l’internet français », il n’a pas survécu à la concurrence du numérique. Marie-Laurence finira par jeter l’éponge pendant que son artiste de fille bricole des maquettes en carton pour nous aider à mieux comprendre les problématiques du secteur. Dernières images : une grue soulève le kiosque pour le charger à l’arrière d’un camion et faire place nette.
Un film tourné avant la crise sanitaire. Et celle, concomitante, de l’opérateur historique du secteur, Presstalis qui, n’en finissant pas de mourir, est devenu France Messagerie. En liquidant, au passage, ses filiales en province. De quoi rebattre les cartes. Ironie du sort, un peu comme le théâtre dans le théâtre, alors que Le kiosque rend hommage à un secteur en crise, l’équipe du film ne sait pas quand les spectateurs pourront le voir car les cinémas sont, Covid oblige, fermés !
D’où une « avant-première » en février suivie d’un débat à distance. Exercice périlleux. Si chacun y va de son anecdote pour dire son attachement au « papier », la discussion résonne étrangement. Déjà parce qu’aux côtés de la CFDT, il n’y a personne de la CGT alors que, dans le secteur, c’est une organisation centrale (la production nous assurant toutefois les avoir invités). Mais aussi parce qu’en guise d’expert, il a été fait appel à l’historien des médias Patrick Eveno. Celui qui, en 2016, s’était illustré en annonçant sur France Info que le Ravi était mort !
Relais… coopératifs
Patron du « Conseil de déontologie journalistique », c’est un tenant des thèses les plus libérales. Il a beau dire que « la presse est consubstantielle de la démocratie », saluer un métier « difficile, aussi physique qu’intellectuel », pour lui, les kiosquiers, ce sont avant tout des « commerçants » auprès desquels il prône la « diversification ». Celle qui fait qu’on trouve désormais tout et parfois n’importe quoi dans un kiosque. Et qu’importe si une jeune kiosquière toulousaine dit l’importance pour elle de vendre avant tout de la « presse ». Pour Eveno, c’est plié, « la presse quotidienne, c’est mort ! ». La faute au « smartphone ». Mais aussi « au poids des corporatismes ». Comprendre, la CGT.
Pourtant, sur Marseille, ce sont les anciens de la SAD 13 (Société d’agences et de diffusion) qui sont en train de mettre en place une « coopérative » afin de distribuer la presse sur les Bouches-du-Rhône et une partie du Var comme du Vaucluse : « On a trouvé des locaux à Vitrolles, explique Maxime Picard, de la CGT. Et, dans le capital, aux côtés des futurs salariés-coopérateurs, il y a un éditeur de presse nationale, une association de lecteurs et deux municipalités, Miramas et Port-de-Bouc. »
Un dossier que regarde attentivement Nicolas Laugier, représentant « sud-est » de Culture Presse, l’union des commerçants des loisirs et de la presse : « L’an dernier, mille points de vente ont fermé, la crise à Presstalis ayant eu plus d’impact que le Covid. Alors, que des coopératives se mettent en place à Marseille comme à Lyon pour prendre le relais est une bonne chose. » Même s’il avoue : « Notre métier n’a pas… bonne presse ! Bien sûr, il y a le numérique qui fait peur. Mais il faut redorer notre blason. C’est un métier de proximité, qui permet de faire du lien ! » Et il s’y connaît : non content d’être marchand de journaux à Sisteron, Nicolas Laugier y est aussi adjoint au maire. Un kiosquier vraiment « pas pareil » !
Le kiosque. Un documentaire d’Alexandra Pianelli (1h18- Les Alchimistes). Sortie en salle prévue au printemps.