Distribution de la presse : a SAD story...
Nous voilà dans les quartiers nord, à la Sad (Société d’agence et de diffusion) de Marseille, la principale société de diffusion de la presse dans la région. Jadis, on y amenait nous-mêmes les exemplaires du Ravi fraîchement imprimés pour les voir distribuer. Mais l’ambiance a changé. Cela rappelle l’usine des Fralib, à Gémenos, avant qu’elle ne devienne la coopérative de production de thé 1336.
À l’entrée, une barricade : sur des palettes, entourées de pneus, les épaves d’une voiture et d’une camionnette. Les salariés de la Sad occupent le site. Sur les murs : « CGT en lutte ». Et des affiches : « L’État et les éditeurs tuent l’emploi et la démocratie. » Que la distribution de la presse est en piteux état est un secret de polichinelle. Mais un palier a été franchi. Comme le rappelle, Nicolas Guglielmacci, délégué du SGLCE, « suite au dépôt de bilan, le tribunal de commerce a placé en redressement judiciaire, au lendemain du déconfinement, le distributeur historique de la presse, Presstalis. Et dans le même temps, nous a liquidé ». Le 5 juin, les 140 salariés ont reçu leur lettre de licenciement.
« Digne d’une dictature »
« Quand il y a des centaines de millions de dettes, on s’attend à une liquidation. Mais pas à ce qu’il n’y ait rien derrière », confesse l’un d’eux. Résultat ? Des kiosques aux étals clairsemés, une imprimerie qui tourne au ralenti et des éditeurs, comme par exemple La Marseillaise, qui serrent les dents. Maxime Picard, responsable CGT du « 13 », martèle : « On pourrait reprendre l’activité en 24 heures ! Mais, pour l’heure, ce n’est pas possible. Rendez-vous compte ! Cela fait deux mois que la Corse est privée des quotidiens nationaux. Ce serait à l’étranger, on parlerait d’une situation digne d’une dictature ! La presse est pourtant un pilier de la démocratie. Sous Covid, sa distribution faisait partie des activités essentielles. Pourquoi n’est-ce plus le cas ? »
L’intérim est assuré par les MLP (Messageries lyonnaises de presse), l’autre mastodonte de la distribution, mais cela n’est pas sans couacs ou retards. Et ne parlons pas du recours à des livreurs privés par Prisma ! « On assiste à une uberisation de la distribution. Pire ! C’est comme si, tant que la presse est distribuée sur Paris, la province, on s’en fout », déplore Nicolas Guglielmacci. Son collègue Thierry Guillen ajoute : « Ce que l’on subit, c’est la guéguerre entre les éditeurs de quotidiens et ceux des magazines », ces derniers ne voulant plus payer pour les journaux. Et d’ajouter : « Derrière, il y a l’envie d’en finir avec le système de distribution. Ainsi qu’avec les ouvriers du livre et les petits éditeurs. Il y a 28 000 diffuseurs de presse. Certains pensent que 10 000, ça suffirait. Le risque, c’est que seuls ceux qui en ont les moyens puissent être diffusés. » Emblématique ? Après deux mois à n’être diffusé que sur le web et en version gratuite, La Marseillaise sera à nouveau imprimée mais diffusée par… La Provence !
« La clé sous la porte »
Pour relancer l’activité, les salariés de la Sad voudraient monter une « SCIC », une « société coopérative d’intérêt collectif », en y impliquant également, précise les syndicalistes, « l’ensemble des collectivités ». Un projet pour lequel les MPL auraient dit leur intérêt. Problème : le périmètre envisagé de distribution ne concernerait que le « 13 » et le Var mais pas les zones d’Avignon ou de Fréjus. Ce qui ne permettrait de conserver qu’une cinquantaine d’emplois à la Sad…
Le syndicat réclame donc une « table-ronde en préfecture » et la mise en place d’une « régie » pour assurer l’intérim en attendant la SCIC. Sans écarter quelques coups d’éclat, les salariés de la Sad s’étant invités à la permanence du député marseillais LREM Saïd Ahamada, chez Martine Vassal, la présidente LR du Département des Bouches-du-Rhône, à la Drac, la Dirrecte ou devant la boutique Free, un groupe qui appartient à ce poids lourd des médias qu’est Xavier Niel, co-actionnaire du Monde. Aux dernières nouvelles, en attendant la coopérative (et de nouveaux locaux), la régie devrait se mettre en place et des contacts seraient enclenchés du côté de la Région, de la Dirrecte et de la préfecture…
Début juin, Christian Andrieux, président de Culture Presse, l’union professionnelle des diffuseurs de presse, était aux côtés des salariés. Mais, depuis, il a déchanté : « Au départ, nous étions enthousiastes. Le problème c’est qu’il n’y a pas de plan de financement. Une SCIC, il faut 2-3 mois pour la mettre en place. Or, nous, on n’a plus de journaux depuis la mi-mai. Alors que la distribution reprend partout ailleurs, comme à Toulon via Fréjus, le seul point noir qui reste, c’est Marseille ! La coopérative verra peut-être le jour. Mais entre temps, nous, on aura mis la clé sous la porte ! »
Thierry Guillen se veut rassurant : « Notre dossier avance et le soutien des MLP est loin d’être négligeable. Il est vrai que sur Lyon, où il y a aussi un projet de coopérative, cela avance plus vite. Reste qu’ailleurs, ce qu’on redoute, c’est que ce soit les moins-disants – ceux qui garderont le moins de monde – qui soient retenus. On y verra plus clair en juillet. » En effet, le tribunal de commerce de Paris a validé la reprise de Presstalis en confiant la gestion à ce qui va désormais s’appeler France Messagerie à la coopérative des quotidiens. En attendant 2023 et l’ouverture de la distribution de la presse à la concurrence.
On franchit la grille de la Sad. Un salarié nous fait partager les dessous pas très jolis-jolis de la distribution : « Pendant des années, Presstalis a été dirigée par Anne-Marie Couderc. Le rapport parlementaire sur sa gestion était accablant. Vous savez où on l’a retrouvée ? A Air France ! » Caramba ! Des ouvriers qui ont l’outrecuidance de lire les journaux qu’ils distribuent…