Nostradamus, un mage de Salon
Ça n’a pas manqué. Dès le début de l’épidémie de Covid-19, une autre fièvre s’est emparée des réseaux sociaux : Nostradamus aurait annoncé la pandémie dans les quatrains de ses célèbres Prophéties. Une de plus pour le célèbre astrologue du XVIe siècle qui, selon ses partisans, aurait prédit aussi bien la Révolution française, l’ascension d’Hitler, l’assassinat de Kennedy, les attentats du 11 septembre 2001 que le double mandat de François Mitterrand ou encore l’incendie de Notre-Dame-de-Paris. Plus fort que madame Soleil !
Sans surprise, le quatrain qui circule n’a jamais existé, comme l’ont vérifié plusieurs médias. Même si certains y mettent beaucoup d’énergie, ainsi ce Varois qui sans rire et dans un mail envoyé au Ravi assure avoir « craqué le code de l’écriture secrète de Nostradamus », difficile de trouver une prédiction véritable. Celle qui a valu au mage sa réputation de son vivant et les faveurs de Catherine de Médicis, l’annonce de la mort d’Henri II lors d’un tournoi, n’est elle-même pas attestée. « Le quatrain qui est mis en avant à l’époque, et que Nostradamus n’a jamais confirmé, est différent de celui utilisé aujourd’hui », s’amuse Lisa Laborie-Barrière, la conservatrice du patrimoine culturel de Salon-de-Provence.
Historienne de formation, elle nous accueille à la Maison de Nostradamus, pour une visite privée de la demeure où l’astrologue, né en 1503 à Saint-Rémy-de-Provence, à 35 kilomètres de Salon, a vécu en famille de 1547 à sa mort, en 1566. Sur toute la hauteur d’un pan de mur, le musée propose notamment une reproduction des 600 quatrains. Situé dans l’ancien quartier juif, dans la vieille ville, labellisé maison d’écrivain, il fait partie du parcours touristique autour du « Mage de Salon », le surnom de Michel de Nostredame. La petite ville provençale, plus connue pour son huile d’olive et ses savonneries, a fait de Nostradamus un de ses atouts depuis les années 1990. Elle accueille également son tombeau, un jardin aromatique, deux statues et un centre de ressources.
« Le personnage est fascinant »
Évidemment déserte ce lundi de février sous Covid, la Maison reçoit quelques 10 000 visiteurs chaque année, dont un petit tiers d’étrangers. Plus que la moyenne des autres monuments de Salon. « Le personnage est fascinant », reconnaît Fabienne Barrere-Ellul, qui ne manque pas d’anecdotes. Comme celles de « l’entrepreneur japonais demandant à se recueillir seul sur la tombe de Nostradamus » ou de « la journaliste anglaise profitant d’un passage dans le coin pour savoir s’il avait annoncé le Brexit ». « On a quelques drôles de visiteurs, acquiesce une agent d’accueil du musée. Certains se jettent sur les prophéties en entrant, pour voir celle du jour. » Mais, selon elle, pas plus cette année de pandémie que les précédentes.
« En France, le regain d’intérêt pour Nostradamus a eu lieu avec l’annonce de la fin du monde le 11 août 1999 par [le couturier] Paco Rabanne. Mais ce sont surtout des curieux ou des journalistes qui viennent », en sourit Lisa Laborie-Barrière derrière son masque et ses lunettes . Elle insiste sur la « recontextualisation » de l’astrologue et de l’époque. Par son fonds documentaire, la Maison est aussi un lieu scientifique et de recherches. Nostradamus doit d’abord sa notoriété à ses Almanachs et à l’imprimerie, qui permet leur diffusion dans toute l’Europe. « Humaniste de la renaissance », Michel de Nostredame est autant astrologue que médecin, herboriste, astronome et écrivain : « À l’époque, les logiques d’explications du monde sont différentes d’aujourd’hui, les planètes ont une influence sur les corps humain, la magie est encore très présente. »
« Aujourd’hui, on va chercher Nostradamus uniquement pour expliquer des événements négatifs, mais ses prophéties analysent aussi bien le passé, le présent que le futur, poursuit Lisa Laborie-Barrière. Le texte est ésotérique, le langage est hermétique, mais il n’y a pas d’occultisme, car il est assez large pour y positionner des symboles, des lieux, des rois. Sa force, c’est que ceux qui veulent y trouver quelque chose le peuvent. » Et la conservatrice d’insister : « Tout particulièrement dans les périodes où les gens sont en quête de sens. » Au XVIe siècle il y a les guerres de religions, la famine, la peste, les populations cherchent des réponses. Comme aujourd’hui…