le Ravi en équilibre sur la crête
le Ravi a-t-il maltraité la Chambre de commerce et d’industrie du pays d’Arles ? Le tribunal de Tarascon doit en juger lors d’une audience qui s’annonce longue ce mardi 7 décembre. Deux affaires, liées, sont convoquées dès 8h30. Celle opposant la CCI au journal régional pas pareil et celle ciblant Dominique Esclar, mis en examen pour ses propos dans le Ravi mais aussi dans La Provence.
En septembre 2019 nous publions une enquête nommée « La CCI revendique son enfant maltraité », titre diffamatoire selon la CCI. L’article documente le conflit opposant la Chambre aux salariés du Cipen, son organisme de formation, le « Cluster d’innovation pédagogique et numérique ». Certains salariés sont regroupés dans l’Asofa, l’Association de soutien des organismes de formation en Pays d’Arles, présidée par Dominique Esclar.
« Défendre le bifteck »
D’emblée ce retraité de l’industrie pharmaceutique, 68 ans, fixe sa ligne de défense devant la juge, Audrey Soula : quelques regrets sur la forme, aucun sur le fond. « Je n’ai rien contre la CCI, jure Dominique Esclar. Mon erreur a peut-être été de désigner l’organisme alors que je visais ses dirigeants. » Au cœur du conflit : le sort du Mopa, l’école d’image numérique, l’un des pôles du Cipen, alors dirigé par Anne Brotot… la femme de Dominique Esclar. Pour le président de l’Asofa, la gestion de la CCI « laisse à penser à un délit de banqueroute », à des « licenciements camouflés ». Et il s’étonne que la Chambre cherche à reprendre le contrôle d’un organisme dont elle serait responsable de la « faillite ».
« Avez-vous essayé de jeter l’opprobre sur la CCI ? », questionne la juge. « Elle a refusé les procédures d’alerte, explique Esclar. Nous cherchions à défendre le bifteck des salariés. » Sa défense fait citer un témoin, Alain Chaix, l’ancien directeur du Cipen, licencié par la CCI. Il certifie devant le tribunal que les propos de Dominique Esclar sont « totalement crédibles » : « J’ai été le bouc émissaire ! Mais si j’ai été mauvais gestionnaire, c’est sur les conseils de maître Hugot. » Lequel, stoïque, encaisse le coup : car l’ancien avocat de Chaix plaide aujourd’hui pour la CCI contre Esclar que soutient Chaix. Vous suivez toujours ?
Deux heures se sont déjà écoulées, place au Ravi. Eric Besatti, l’auteur de l’enquête mis en examen, est privé de l’occasion de défendre son travail à cause du Covid ! Appelé à la barre, Nicolas Meunier, notre directeur de publication aussi mis en examen, plante le contexte : « L’objectif du Ravi est d’apporter de l’oxygène en Paca. (…) On s’autorise la satire tout en s’emparant de sujets complexes. » Et de rappeler le sérieux d’Eric Besatti, pigiste au Ravi, plume de L’Arlésienne dans une ville qu’il connaît bien…
« Propagande semi-révolutionnaire ! »
Lorsque la caricature signée Bib’s est évoquée, celle qui vaut à notre dessinateur également une mise en examen, le débat prend de la hauteur. « le Ravi est un acteur important du dessin de presse, souligne Nicolas Meunier. Nous marchons sans cesse sur un chemin de crête entre le sérieux et la satire. » – La juge : « Et comment ne pas basculer sur cette crête ? » – Le directeur de publication du Ravi : « Nous ne sommes pas irrespectueux mais irrévérencieux. Surtout vis-à-vis des personnes qui ont des responsabilités (…) C’est sur les crêtes qu’on voit le plus loin et où on avance le mieux ! »
La quatrième heure d’audience s’engage. La procureure, Camille Theurelle, botte en touche en s’en remettant au jugement du tribunal. La parole est donc aux avocats. Jean-Philippe Hugot, pour la CCI, sort l’artillerie lourde. Esclar ? « Toutes ses allégations sont fausses. » Eric Besatti ? « Je regrette qu’il ne soit pas venu (…) Il organise à Arles un débat pour commenter ce procès lors d’une émission radio. » Sans préciser, bien sûr, que le rendez-vous a été annulé pour le même motif sanitaire qui a contraint le journaliste du Ravi et de L’Arlésienne à s’isoler.
« On a affaire à de l’amateurisme et à une vision politique des choses, à du sarcasme, à des mots provocateurs, charge au galop maître Hugot. Une enquête sérieuse ? De la modération dans les propos ? Bonjour ! (…) La CCI considère que les infractions de diffamation sont constituées. » Et l’avocat de la Chambre de fustiger un article « semi-révolutionnaire » relevant de « la propagande ». Notre avocate, Ariane Gathelier, prend le relais. Le ton est plus posé. Les faits évoqués plus précis aussi. Elle salue le travail d’un journaliste « qui prend la peine de citer l’ensemble de ses sources et de les diversifier ».
« La caricature et la forme satirique sont l’essence même du journal le Ravi, poursuit-elle. Mais il n’y a aucune malveillance dans la formulation, seulement la volonté de souligner un débat d’intérêt général. » Maître Gathelier insiste sur un point central : à trois reprises, « dans de longs mails », notre journaliste questionne la CCI sans obtenir de réponse. « N’aurait-il pas été beaucoup plus simple de répondre ou, même après publication, de demander un droit de réponse ? » Et notre avocate d’interroger encore : pourquoi la CCI n’a-t-elle pas aussi porté plainte contre La Provence qui a pourtant repris les propos d’Esclar ? Indifférent, le quotidien régional ne couvre pas le procès.
Il est plus de 13 heures. Maître Michel Alliot, le conseil de Dominique Esclar, attaque frontalement les dirigeants de la CCI, « l’orgueil des dignitaires de Provence » : « des professionnels du chiffre, des juges spécialisés, ont tous considéré que vous avez fait n’importe quoi ! » Le jugement sera rendu le 8 février. L’audience est levée devant une salle… vide.
Retrouvez l’équipe du Ravi et de L’Arlésienne mardi 8 février, le jour du délibéré du procès, à Arles, à la Coopérative inter-associations, au 5 rue du Pontet. 19h00 : radio Aïoli enregistrera, en direct et en public, une émission pour revenir sur le fond de l’affaire CCI / le Ravi. Puis en exclusivité sur la place arlésienne la dégustation du Pot de vin du Ravi pour fêter les 18 ans du mensuel régional pas pareil (dans le respect des consignes sanitaires).
Le tribunal de Tarascon a prononcé une relaxe le 8 février 2022, reconnaissant le sérieux de l’enquête, sa légitimité, et notre droit à la satire. Mais les frais de justice – près de 5000 euros – restent à notre charge. Un journal libre ne s’achète pas, il se finance : abonnez-vous au Ravi !