« On peut tricher un peu ? »
« Il faudra écouter attentivement les argumentations du rapporteur public, parce que s’il conclut au rejet du recours il peut être beaucoup violent pour la partie adverse dans son développement. » Malgré la mauvaise nouvelle annoncée dans la presse en début de semaine, maître Jorge Mendes Constante restait prudent la veille de l’audience sur l’examen des recours déposés contre l’élection municipale du 6e secteur de Marseille (11e et 12e arrondissements) ce vendredi 19 février. Celui dont le second tour a été animé par l’affaire des fausses procurations et finalement remporté par le sortant LR Julien Ravier. Une élection qui s’est jouée à 352 voix.
Avocat de plusieurs plaignants, dont Yannick Ohanessian, tête de liste Printemps Marseillais (rassemblement des partis de gauches, d’écolos et de citoyens) sur le secteur et actuel adjoint à la sécurité, maître Mendes voit deux manière de juger l’affaire : « Une position classique et statique, qui regarde le nombre de fausses procurations supposées et l’écart de voix ; une autre, qui prend en compte le contexte. » Et d’insister : « Là, sur les fausses procurations, on a presque un flagrant délit ! » Les enquêtes journalistiques ont en effet rythlmé la campagne du second tour.
Xavier Haïlï, le rapporteur public, a finalement choisit la première option. Pendant plus d’une heure, un œil souvent tourné vers le défendeur de Yannick Ohanessian. il a démonté méthodiquement chacun des griefs des requérants. Que ce soit le candidat du Printemps Marseillais ou ceux d’EELV, de Samia Ghali et d’En Marche ! Sans nier « un contexte », « des corrélations » ou « des manœuvres », Xavier Haïli cherche à démontrer l’impact de ces dernières sur les résultats du scrutin. Ou plutôt leur absence d’impact sur le résultat final. Selon le rapporteur public, aucun des anciens candidats n’apporte la preuve que l’une d’elle ne vient l’altérer, ni remettre en cause la sincérité du scrutin. Son mantra reste l’écart de voix entre les listes.
C’est tout particulièrement le cas sur le principal grief, les supposées fausses procurations. S’appuyant sur un examen du matériel électoral – listes, cahiers d’émargement, etc. – Xavier Haïli limite leur absence d’influence au premier tour largement remporté par le LR Julien Ravier et ne retient que les 51 procurations de l’Ephad de Saint-Barnabé, qui ont eu les honneurs de l’ouverture d’une enquête préliminaire. Mieux, il estime qu’il n’y a « aucun indice d’anormalité sur les 614 procurations du second tour ». « Elles sont sans incidence sur la dialectique de la preuve. Le contexte très médiatisé ne créé ni ne prouve le grief, on est », enfonce le rapporteur public. Avant de demander le « rejet des quarte protestations. »
Autant de petit cailloux jetés dans le jardin de maître Bruno, l’avocat de Julien Ravier. Ce dernier ne manque d’ailleurs pas de saluer dans ses réponses « le travail du rapporteur public », avant de se replonger en primaire et au collège pour rappeler opération de base des mathématiques : soustraction et règle de trois. « Il n’y a mathématiquement pas de vote vicié », conclut le conseil de Julien Ravier, qui assiste aussi l’ancien maire de secteur, aujourd’hui député, sur le volet pénal de l’affaire. Gourmand, en aparté il se dit rassuré par autant « par les arguments du rapporteur public » que « par [mes] confrères. »
Chaussette et bouillabaisse marseillaise
Ces derniers n’ont effectivement pas apporté de preuve mathématique de l’impact des différentes manœuvres sur les résultats et la sincérité du scrutin. Etonné par« la méthode et les explications pour justifier et motiver le rejet » du rapporteur public alors qu’il « admet des manoeuvres » et regrettant qu’il soit « plus simple de confirmer une élection que de l’annuler », maître Mendes rappelle plusieurs élections dont un contexte identique a amené à l’annulation d’une l’élection. L’avocat de Yannick Ohanessian, qui en fait sa ligne d’attaque, cite notamment la célèbre « fraude à la chaussette » aux municipales de Perpignan de 2008 et… l’annulation de l’élection de Guy Tessier aux législatives de 1998 (face à Bernard Tapie et pour 84 voix). Un candidat « encore aujourd’hui élu sur la même formation candidate que Monsieur Julien Ravier », note le défenseur de l’adjoint à la sécurité publique de Benoît Payan avec autant de gourmandise que maître Bruno. D’autant plus que le député LR a à l’époque été pris la main dans une bouillabaisse de fausses procurations qui rappelle furieusement celle de 2020. A croire qu’à droite les bonnes recettes se transmettent…
Surtout, pour maître Mendes l’enquête préliminaire ouverte avant le second tour du scrutin rend « la fraude électorale indiscutable ». « Il y a un sentiment que l’élection a été dévoyée parce qu’il y a eu tricherie, [mais] quand on triche, on est éliminé », martèle l’avocat. Et d’interroger : « Quelle est la pédagogie si on se base seulement sur les chiffres bruts ? Qu’on peut tricher un peu ? Tant que ça ne se voit pas ? » Réponse d’ici le 9 mars.