« Des élus maintiennent leurs quartiers dans la pauvreté »

janvier 2015 | PAR Michel Gairaud, Rafi Hamal
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Entretien en partenariat avec Radio Grenouille
Fatima Orsatelli, déléguée à la politique de la ville de la région Paca, invitée de la Grande Tchatche
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Pourquoi, selon vous, le problème n°1, après les attentats commis au nom de l’islam, c’est celui de la paupérisation extrême de certains quartiers ?
Je suis révoltée mais pas surprise par ce que je vois émaner en termes de pratiques religieuses qui gangrènent le terrain. Cet essor est lié à l’abandon des financements de l’État concernant les quartiers. Depuis ma délégation à la politique à la ville, je constate que désormais nous faisons face, et parfois même en milieu rural, à de l’ultra pauvreté.

Existe-t-il un lien direct entre paupérisation et terrorisme ?
Oui bien sûr, car la pauvreté est aussi intellectuelle et politique. Nous assistons à un abandon des services publics, du monde associatif et de l’éducation populaire. Qui règne sur les quartiers ainsi délaissés ? Ce sont les extrémistes en tous genres, aussi bien politiques que religieux.

Faut-il aussi parler d’un échec de l’enseignement ?
Sans généraliser et sans oublier tous les enseignants qui se battent, l’école a failli à sa mission par manque de moyens et par manque de rénovation. Dans les quartiers dits prioritaires, on fait du saupoudrage.

Mieux former les profs aux faits religieux et à la laïcité, comme l’annonce le gouvernement, ça peut marcher ?
Ce n’est pas ça qui réglera le problème de fond. Les enseignants sont totalement livrés à eux-mêmes face à des jeunes qui n’ont plus d’éducation dans leur famille. Ils sont là pour transmettre pas pour éduquer.

Des lycéens ont aussi été réprimés pour apologie du terrorisme. Est-ce la bonne solution ?
Je fais bien la part des choses entre un gamin qui va, par provocation, prononcer une phrase pour jouer au caïd et un autre qui est déjà radicalisé. Il y a eu aussi beaucoup de commentaires sur la minute de silence non respectée. Il aurait simplement mieux fallu la préparer, expliquer le pourquoi du comment…

Faut-il prendre au sérieux le risque d’une radicalisation islamiste d’une partie de la jeunesse ?
Notre région est la plus touchée par le départ en Syrie des jeunes. J’ai quelques chiffres que je ne peux pas communiquer. Mais rien que dans les Alpes-Maritimes, environ 90 gamins sont partis en Syrie.

Les élus locaux ont-ils une part de responsabilité dans cette situation ?
Oui. Les élus issus des territoires les plus en difficulté, même s’ils n’ont pas assez de moyens, ont encore tous les moyens de se faire entendre. Si vous êtes un élu responsable et que vous n’êtes plus en capacité d’exercer vos responsabilités, alors il faut le faire savoir. Or des élus ne jouent pas le jeu et maintiennent leurs quartiers sous perfusion sociale. C’est ce que j’appelle du clientélisme pauvre. Cela consiste à maintenir certains territoires dans la pauvreté par intérêt politique.

Allez-vous jusqu’à dire que des élus favorisent, par leur clientélisme, l’émergence de toutes les dérives, y compris celles du banditisme islamiste ?
Ils sont cautionnaires. Ils savent parfaitement ce qui se passe sur leurs territoires où ils ont des services d’information dignes des renseignements généraux. Quand vous arrivez dans un quartier, même si vous ne l’avez pas prévenu, l’élu du coin vous appelle aussitôt pour vous dire : « vous êtes chez moi. » J’ai souvent entendu cette phrase…

Dans les cortèges des 10 et 11 janvier, les Français de confession musulmane étaient-ils suffisamment représentés ?
J’ai vu pas mal de personnes issues de la diversité. D’autres n’ont pas souhaité s’exhiber, certains notamment qui condamnent les attentats n’ont pas voulu se justifier au nom des autres. Ce qui me désole, c’est au niveau de la jeunesse qui n’a pas su se mobiliser. Mais comment s’étonner de la sous-représentation des quartiers ? Ils ne sont, jusqu’à maintenant, pas très organisés pour exister par eux-mêmes. Dans les quartiers, la liberté d’être est souvent liée à des organisations associatives ou politiques.

Vous présidez la commission juridique du CRCM (Conseil régional du culte musulman), approuvez-vous Nicolas Sarkozy qui réclame que tous les imams soient désormais habilités par le CFCM (Conseil français du culte musulman) ?
Cela fait partie des solutions. Déjà, concernant la nomination des imams aumôniers, l’avis du CFCM est toujours demandé. Mais la réforme sur le statut des imams a du mal à démarrer car elle remet en cause certaines fédérations.

Que penser de ceux qui disent « oui au droit à la satire mais avec des limites », en particulier celle de préserver l’interdiction de représenter le prophète, car l’islam serait la religion d’une population déjà stigmatisée socialement ?
La question c’est celle de la liberté. Des gamins auxquels on parle de la liberté d’expression, de notre liberté, de ce pilier qui a été touché avec l’attentat contre Charlie Hebdo, me disent : « C’est quoi la liberté ? Regarde où je vis, l’absence de moyens, de transports : je ne suis pas libre ! » Il faut prendre le temps de discuter avec ces gamins, souvent en rupture de dialogue avec leurs parents. Certains m’ont demandé si j’étais choquée par la caricature à la Une de Charlie avec la phrase « Tout est pardonné ». Je leur ai répondu que non. Je les ai invités à demander à leur imam d’expliquer la sourate où il est question de pardon. Être choqué dans sa croyance, dans sa sensibilité, est légitime. Mais cela doit rester de l’ordre du domaine privé, cela ne doit pas influer sur l’espace public et encore moins donner lieu à des menaces.

La question de la formation des imams, de ceux qui transmettent l’islam, est donc déterminante.
Tout à fait ! Le problème c’est que l’islam aujourd’hui n’a pas d’organisation. N’importe qui peut, un beau jour, se déclarer imam, ouvrir un petit lieu de culte et commencer à régner là-dessus. A Marseille, par exemple, il n’y a pas de mosquée digne de ce nom. C’est pour ça que je combats toujours pour la grande mosquée gérée en toute transparence…

Le pape pour les catholiques a aussi désapprouvé certains dessins publiés par Charlie Hebdo. Défendez-vous inconditionnellement la liberté que les dessinateurs ont en France de blasphémer les religions ?
Encore une fois, la liberté d’expression en France est un pilier de nos valeurs. Je suis pour la liberté d’expression, quitte à heurter.

Des élections régionales auront lieu, en décembre, avec un FN qui espère prospérer sur l’islamophobie et la détresse sociale. Est-ce qu’il y a un risque en Paca d’un basculement à l’extrême droite ?
Le risque existe et n’est pas négligeable. La classe politique est divisée, son fonctionnement est remis en cause à travers l’abstention. La question posée c’est le renouvellement politique. Aujourd’hui, l’organisation politique se fait juste autour d’un système d’attribution de pouvoir sur des territoires.

Les électeurs, en mars, sont également appelés à voter pour des départementales. Votre analyse dans les Bouches-du-Rhône ?
Voir le président d’un département être plusieurs fois mis en examen et se représenter (Ndlr Jean-Noël Guérini, mis en examen pour « association de malfaiteurs », ex-PS désormais « Force du 13 »), nos concitoyens ne le comprennent pas ! Alors soit il y a un renouveau, soit on bouscule les choses, soit on va assister à une mascarade.

Propos recueillis par Michel Gairaud, Rafi Hamal et mis en forme par Bastien Michel