Fouque you

En cette fin de matinée de juillet, ils sont une dizaine, principalement des délégués syndicaux CGT de différents foyers de l’enfance marseillais, à être venus soutenir Laurence M. Cette dernière, veilleuse de nuit depuis 2010 à la Mecs (Maison d’enfants à caractère social) des Saints-Anges, un des 9 établissements que compte l’association marseillaise Fouque, a été licenciée pour faute grave en janvier 2019. Après qu’elle a dénoncé auprès de l’inspection du travail des conditions d’exercice qu’elle estimait dangereuses pour elle-même et les enfants, faisant part aussi d’incidents inquiétants à connotation sexuelle entre jeunes et dont la direction avait connaissance. L’inspectrice déclenche alors un article 40, et une enquête est confiée à la brigade des mineurs. Contre toute attente la veilleuse de nuit et un délégué CGT sont mis en garde à vue. Finalement, l’enquête – dont le déroulé interroge – sera classée sans suite (Lire nos enquêtes précédentes, co-signées avec Mediapart : « Ça la Fouque mal » et « Tout Fouque le camp »).
Mise en danger
Son employeur représenté ce jour par Vincent Gomez-Bonnet, ancien directeur des Saints-Anges et depuis promu directeur général de l’association Fouque, reproche à la veilleuse de nuit d’avoir déclenché une enquête ayant « fortement perturbé le service, (…) entraîné une suspicion sur notre établissement et une désorganisation manifeste de celui-ci », indique sa lettre de licenciement. La salariée, elle, demande à être protégée et reconnue comme lanceuse d’alerte. Maintes fois renvoyée, l’audience a enfin lieu. La juge départiteur a pu avoir accès au dossier pénal et il semblerait qu’elle avait à cœur de juger cette affaire avant de changer de juridiction.
Maître Olivia Voraz, qui représente Laurence M., avance masquée à la barre. Elle rassure l’auditoire : si elle tousse, c’est à cause d’une bronchite et non du Covid. Ses fiches en main, l’avocate resitue le cadre juridique. Elle insiste sur l’alerte d’urgence, concernant les conditions de sécurité « qui n’ont pas été respectées par l’employeur », ni pour elle, ni pour les enfants. « Ce qui permet à Madame M. de bénéficier du statut de lanceur d’alerte c’est la constatation d’un déficit structurel de sécurité et de surveillance, souligne l’avocate. Ce qui a entraîné des délits et des mises en danger. » Elle rappelle que l’enquête pénale a été diligentée pour suspicion d’agression sexuelle mais aussi pour défaut de surveillance. « Donc Madame M. n’invente rien ! », insiste l’avocate.
Syndicat attaqué
Elle énumère tous les dysfonctionnements notés dans les carnets de liaison et signalés par les éducateurs concernant l’unité dont sa cliente avait la charge regroupant des enfants de 8 à 17 avec des pathologies lourdes. Mais aussi les absences de mesures de la part de la direction face aux comportements déviants de certains adolescents entendus dans le cadre de l’enquête. Et de citer les procès verbaux de la directrice et de la cheffe de service des Saints-Anges qui pour l’avocate sont « délirants ! » : « Elles vous disent “on les a réunis et on les a grondés” et vous avez l’officier de police judiciaire qui à chaque fois répète aux enfants “Tu me promets, tu ne recommenceras pas.” Mais de qui parle-t-on ? On parle d’une unité transversale où les enfants ont des pathologies lourdes avec des prises en charge spécifiques et renforcées », lance-t-elle à bout de voix. « Alors la journée ça va, car les éducateurs sont nombreux, mais le soir Madame M. est seule sur deux groupes », poursuit l’avocate. Elle indique que depuis le licenciement de Laurence M., il n’y a jamais eu de deuxième surveillant. « Et parce qu’il n’y a jamais eu de deuxième surveillant et bien B., 14 ans, a violé l’enfant de 8 ans qui partageait sa chambre, le 30 juin 2019 », conclut-elle. Maître Olivia Voraz attire l’attention du juge sur le fait qu’au-delà du licenciement de sa cliente, il faut s’interroger sur ce qu’il se passe au sein d’autres établissements dirigés par l’association Fouque, où là aussi des signalements ont été faits, prenant Gomez-Bonnet à témoin.
« Je n’ai pas connaissance des signalements dont vous parlez », s’indigne Maître Olivier Giraud, avocat de l’association. Me Voraz ironise et se propose de lui redonner les courriers officiels. Pour lui, la veilleuse de nuit « a bénéficié de toutes les formations nécessaires » pour assurer son poste et a été toujours respectée par sa direction. Il s’attaque alors au délégué syndical CGT, présent dans l’auditoire et qui s’était retrouvé en garde à vue en même temps que la salariée. Pour Olivier Giraud, le discrédit porté sur Fouque serait syndical. « Madame M. n’a été témoin d’aucun fait de nature pénale qui puisse donner lieu à alerte […] Tout ça pour dire, madame la présidente, vous chercherez en vain où est sa bonne foi », insiste l’avocat. Et de s’essayer à des métaphores scabreuses : « C’est comme si je prenais ce plancher en photo. Et que je disais qu’il était troué et dangereux, sans vous en parler avant… Non madame la présidente ! On n’est pas dans un monde de délation systématique parce que ça c’est une autre époque qui est de triste mémoire… » Et d’achever sa plaidoirie : « Madame la présidente, c’est un dossier monté de toute pièce ! Dans le but d’obtenir un statut qu’on vient de découvrir […] » Laurence M. devra attendre le 21 septembre pour être fixée sur son sort.