Un adjoint au maire de Mazan, en charge des affaires scolaires, condamné pour violences sur mineurs

À la barre du tribunal correctionnel de Carpentras, le prévenu est de carrure imposante. Ce « père au foyer » de trois enfants, S. J. (1), 45 ans, habite Mazan, une commune de 6 000 habitants à cinq kilomètres de là. Il y est adjoint au maire en charge du sport et des affaires scolaires depuis l’élection en juin dernier d’une liste « divers droite » soutenue par le Rassemblement national (RN). Et pour cause, le premier adjoint, Georges Michel, n’est autre que le n°2 du RN départemental. Une délégation aux écoles qui a de quoi interroger au vu des faits qui sont reprochés au prévenu ce jeudi 5 novembre au soir : « violence sur mineur avec assistance de mineur suivi d’incapacité supérieure à huit jours » et « violence avec usage ou menace d’une arme sans incapacité. »
Quinze coups de poing
Le 10 septembre 2019, une petite altercation éclate devant le lycée Fabre de Carpentras entre le fils de S. J., Damien (1) et Ayoub Choukri, lui scolarisé au lycée Victor Hugo. Tous deux en seconde. Les deux adolescents entretiennent un différent au sujet d’une fille. Quelques coups sont échangés mais les deux bagarreurs sont vite séparés. Ayoub, accompagné de cinq jeunes, prennent la direction du Mc Donald’s. Damien, après être passé dans le bureau du CPE, prévient son père. À bord de son Renault Scenic, « l’arme » du délit, ils se mettent à la recherche du groupe de jeune avant de les apercevoir. Le véhicule monte alors sur le trottoir et leur fonce dessus. Les jeunes ont la peur de leur vie, l’un d’eux doit grimper à un grillage pour éviter le Scenic tandis qu’un autre s’appuie sur la carrosserie.
Le petit groupe s’enfuit dans une ruelle mais père et fils les rattrapent en criant, selon les mots de la présidente du tribunal Sandrine Izou, « bande d’enculés, on va vous tuer ». A ce moment-là, les récits divergent selon les camps. Mais plusieurs témoignages concordants, lus par la juge, décrivent la scène, violente : le père, ce qu’il conteste, donne alors une claque à Ilyes Yousfi, 15 ans puis le fait tomber avec une balayette avant de lui donner trois coups de pied au torse et au visage. Il se dirige alors vers Ayoub, qui tente de lui lancer des pierres. « À ce moment-là, il me donne un coup de poing, je suis sonné », répétera-t-il à la barre, et tombe par terre. Entre temps les trois autres jeunes ont pris la fuite. Le fils, lui, a pris le relais de son père, et distribue les coups. Il avouera lui-même avoir donné « quinze coup de poings » à Ylies Yousfi. « Une branlée » comme le décrira le procureur de la République dans son réquisitoire.
« Cassé à vie »
Amené à l’hôpital, un médecin lui signifie une incapacité temporelle totale (ITT) d’un mois avec « traumatisme crânien avec perte de connaissance initiale, érosion cornéenne de l’œil gauche et traumatisme thoracique d’un pneumothorax gauche complet » ! Damien, qui a mal au pouce, reçoit deux jours d’ITT (ces douleurs seront attribués à la violence des coups donnés) et va porter plainte avec son père dans l’après-midi pour « harcèlement ». Devant le juge, S. J., n’en mène pas large. Il explique d’abord avoir voulu leur faire peur. Il confesse avoir poussé Ayoub Choukri sur une porte de garage en lui demandant pourquoi il en voulait à son fils. Mais nie toute violence auprès de Yousfi.
Les familles des deux parties civiles, Yousfi et Choukri sont là. Ilyes Yousfi, grand et longiligne, ne peut s’empêcher de fondre en larmes derrière son masque aux premiers mots de son agresseur. Véhémente, la juge elle demande si le prévenu réalise ce qu’il a fait en voulant se faire justice lui-même : « c’est inconcevable ! Votre fils ne s’est jamais fait agressé par six jeunes, il vous a menti. Et vous vous ne demandez pas quelle attitude adopter ? Il vous aurait dit que quelqu’un avait un flingue, vous auriez fait pareil ? ». Lui avoue avoir été très en colère mais n’aura jamais un mot d’excuse envers les victimes. Ilyes est traumatisé, « ne supporte plus Carpentras » selon l’avocat de la famille, maître Stéphane Simonin. Aujourd’hui en première dans un lycée privé d’Orange, il a fuit un an chez ses sœurs à Marseille. « Il a du mal à dormir », avance sa mère Amel à la barre, tandis que son père Louardi se demande si « il n’est pas cassé à vie ».
Meute introuvable
L’avocat de la défense, maître Marc Geiger, tente de jouer sur la corde sensible dans sa plaidoirie : « moi aussi j’ai failli être à sa place ! », narrant une agression de son fils par plusieurs jeunes en sa présence. Il met en avant « les violences de meutes », « insupportables », alors qu’aucun élément de l’enquête ne l’atteste. Puis « une affection pour son enfant qui dépasse l’entendement » même si « il y a là des entailles dans les valeurs à inculquer à un enfant ». Et demande, « même si cela ne l’excuse pas, ne l’absout pas », de ne pas le condamner pour des faits qu’il n’a pas commis.
Maître Simonin attaque lui la défense sur ses procédés : des attestations de tierces personnes qui visent à nuire à la réputation des deux jeunes, « une dialectique que je ne supporte plus ! ». Et s’appuie sur le témoignage du seul homme « qui n’a rien vu » : un voisin qui a recueilli Ilyes juste après l’agression et qui l’a soigné. Dans sa déposition, il raconte que l’ado lui a dit s’être fait agresser par un jeune de son lycée accompagné de son père. « Ilyes serait-il un ténor de l’intelligence machiavélique pour tenir ces propos à ces moments-là ? », interroge-t-il.
Pour le procureur, S. J. a clairement dépassé la ligne jaune et « s’est fourvoyé ce jour-là » en faisant « acte de recherche de justice alors qu’[il] n’est délégataire de rien ». Au vu de ces antécédents vierges avec la justice, il requiert dix mois de prison avec un sursis de cinq ans. Il semble que ni lui, ni les juges, ne soient au courant de sa qualité d’élu ! Finalement, la juge condamne S. J. à un an de prison avec sursis, le versement de 1 500 et 800 euros au titre du préjudice moral aux parties civiles et le remboursement des frais d’avocats. Selon son avocat, il ne devrait « a priori » pas faire appel. En mars dernier, Louis Bonnet (2), devenu maire de Mazan depuis, expliquait ne pas pas vouloir sanctionner son colistier tant qu’il ne serait pas dûment condamné. C’est le moment !
1. Pour préserver l’identité de son fils, bientôt jugé devant le tribunal des enfants dans la même affaire, et dont le prénom a été modifié, nous avons choisi de ne pas publier son identité.
2. Contacté, il n’a pas encore répondu au Ravi.
Mise à jour le 10 novembre : Le maire de Mazan, Louis Bonnet (soutenu par le RN, extrême droite), s’est finalement exprimé lundi 9 novembre dans les colonnes du quotidien Vaucluse-Matin : il confirme S. J. dans ses fonctions d’élu, aucune inéligibilité n’ayant été prononcée à son encontre. Et le maire de maintenir sa confiance à son adjoint à la fois chargé des affaires scolaires et condamné pour violence sur mineur : ce serait selon Louis Bonnet un élu « qui fédère bien » mais qui aurait perdu le contrôle. S’il ne cautionne pas cette violence, le maire affirme « chacun sa méthode » et déplore seulement « une erreur au même titre qu’un dépassement de vitesse. » Bienvenue chez les fous !