le Ravi fait son trou aux Baumettes
Quoi de mieux qu’un journal « pas pareil » pour une prison « pas pareille » ? De fait, on commence à connaître non seulement le chemin mais aussi les murs et la procédure. Prendre le bus 22. Descendre aux Baumettes. Passer sous la statue représentant « la Paresse », l’un des sept péchés capitaux qui orne le mur d’enceinte de la prison marseillaise. Nous voilà à l’entrée de ce qui fut jadis la « Maf », la Maison d’arrêt pour femmes. Des Baumettes historiques, il ne reste rien, tandis que Baumettes 3 vient s’ajouter à « B2 ». On tente de faire rentrer dans le petit casier des visiteurs nos affaires, journaux, feuilles de papier et stylos passent au scanner tandis qu’on retire ceinture et tout objet métallique pour éviter de faire sonner le portique.
Nous voilà à la SAS, la « Structure d’accompagnement vers la sortie ». Un dispositif expérimental né à Marseille pour éviter les sorties « sèches » et qui, aujourd’hui, est appelé à se généraliser. Depuis maintenant plus de deux ans, le Ravi y mène des ateliers de « journalisme participatif ». On s’apprête à sortir le quatrième numéro d’un journal « pas pareil » écrit par, pour et avec les détenus de la « SAS ». Son nom ? Dedans Dehors, un titre qui résonne au sein d’une structure dont le but est justement, de faire le lien entre l’intérieur et l’extérieur. Sa forme ? le Ravi l’a joué à l’économie : c’est une feuille A3 qui, pliée en 4, forme un petit journal format A5 mais qui, petit à petit, quand on le feuillette, se déploie comme un papillon.
Un journal dont le premier numéro avait bénéficié, outre l’aval de la première directrice de la SAS, Aurore Cayssials, de l’aide précieuse de Patrick, infatigable visiteur de prison et soutien de la petite bibliothèque de l’établissement, épaulé par un « auxi » (les détenus qui travaillent, Ndlr) qui deviendra vite un pilier du groupe. Notre base arrière, à l’époque, c’était Lieux fictifs, studio/salle de cinéma où se tiennent des projections, des festivals mais aussi des restitutions d’atelier « théâtre ».
Comme toujours avec les ateliers de journalisme du Ravi, le principe est le même : partir des idées et envies de chacun, en discuter collectivement, voir comment cela peut se traduire journalistiquement parlant et faire en respectant les capacité des uns et des autres. Certains écriront directement et il n’y aura pas une virgule à changer, d’autres auront besoin d’être épaulés.
Et puis le Covid s’est invité, vidant la prison, fermant les portes et réduisant la jauge des ateliers. Face aux contraintes sanitaires, on saura se faire inventif, notamment en organisant certains ateliers « dehors », dans le jardin de la SAS, un petit coin de verdure entre quatre murs.
Les numéros se suivent et ne se ressemblent pas. Le dernier, quatrième du nom, sera mené tambour battant. Il faut dire que la matière est brûlante : c’est les élections et l’administration pénitentiaire a mis les bouchées doubles pour que les détenus puissent voter. Et, même derrière les barreaux, le Ravi adore parler « politique ». Y compris avec des abstentionnistes forcenés, des macronistes convaincus, des adeptes du « tout sauf Jupiter ». Mais aussi avec un nouveau lâchant : « Vous savez, quand vous vous retrouvez au quartier « arrivants », savoir si vous pourrez voter, ce n’est pas forcément la première chose à laquelle vous pensez… »
Alors que la SAS est un modèle qui essaime, celle de Marseille innove encore notamment avec l’ouverture prochaine d’un… restaurant ! Les Beaux-Mets, un restaurant semi-gastronomique de 44 couverts ouvert à l’extérieur et où, en cuisine, comme en salle, ce seront des détenus, formés dans le cadre d’un chantier d’insertion mené, en lien étroit avec la pénitentiaire, par l’association Festin (la Table de Cana…)
La SAS s’ouvre. Sous la férule de la sociologue Leïla Delannoy et de son collègue Hatem, vient de se mettre en place l’Ecollectif, un atelier de réflexion autant sur les questions écologiques que démocratiques en prison. Fin juin, ils ont profité d’une permission de sortie à la rencontre de l’Après M pour venir… au Ravi ! Les participants, qu’ils soient détenus, surveillants mais aussi conseillers d’insertion, ont encore des étoiles plein la tête et les yeux à l’évocation de cet ancien Mc Do devenu un « fast-social food » et de la solidarité qui existe dans les quartiers. Alors, dans la cuisine du Ravi, tout ce beau monde se met à table et y va de son anecdote, de ses impressions. Et nous, doctement, on prend des notes. Parce qu’il n’y a pas de temps à perdre. C’est l’été. On a encore le dernier numéro du journal de la SAS à boucler !