"C'est plus difficile de jeter un caillou sur quelqu’un qu’on connaît"
Les images de violences policières se multiplient : le maintien de l’ordre à la française est-il devenu plus dur ?
La situation s’est dégradée depuis une dizaine d’années. D’abord avec les réductions d’effectifs dans les unités spécialisées : en 2000 quand je commandais une compagnie de CRS, je pouvais aligner 80 ou 90 fonctionnaires. Aujourd’hui si on en a 40 ou 50 de disponibles c’est le maximum. Cela a beaucoup de conséquences sur le travail de groupe et la cohésion, qui sont pourtant essentiels quand vous faites face à une foule beaucoup plus nombreuse que vous. Et comme la cohésion baisse, on a tenté de compenser par l’armement… L’autre facteur c’est une évolution de la doctrine. Avant, on n’intervenait pas si cela devait créer un trouble supérieur à la situation en cours. Aujourd’hui, on judiciarise le maintien de l’ordre en engageant des poursuites pour jets de pierre, bris de vitrine… Et pour ça il faut donc davantage repousser, interpeller. Et avec de plus en plus de recours à des unités non spécialisées. On était dans l’excellence française, on faisait référence, et en vingt ans ça a totalement disparu. On est passé à un maintien de l’ordre un peu brutal.
Le changement de politique en matière de sécurité publique a-t-il aussi contribué à cette bascule ?
La rupture, c’est la présence de Le Pen au second tour de la présidentielle en 2002. Les partis politiques y répondent par une surenchère sécuritaire, Chirac nomme Sarkozy à l’Intérieur. On change diamétralement le travail de la police : elle ne doit plus faire de la paix publique mais du chiffre, faire des « affaires » pour la justice. Avant, si dans une circonscription de police il ne se passait rien de notable, c’était bien vu. Aujourd’hui, vous seriez considéré comme une feignasse. Ça transforme complètement le rapport à la population.
Vous avez analysé la « méthode globale » mise en place à Marseille pour coordonner l’action de la police mais aussi des bailleurs et des acteurs sociaux dans les quartiers sensibles. Est-elle efficace ?
Elle a l’avantage de chercher à apporter une réponse qui ne soit pas que policière. Mais si elle n’est pas complétée par un changement de stratégie dans la police de sécurité publique, elle n’aura qu’un effet d’épouvantail, les trafics se déplaceront ailleurs. Il faut revenir à une police de proximité, présente dans le quotidien. On peut le faire sans augmenter les effectifs : à Marseille c’est ce que fait l’Unité de prévention urbaine, qui existe depuis 1991 et qui a été sauvée par un élu de droite qui était monter plaider sa cause devant Sarkozy. Il y a une telle demande de la population que l’on vienne vers elle, ça ne peut que marcher ! Et ça serait un atout pour les policiers aussi : il est plus difficile de jeter un caillou sur quelqu’un qu’on connaît. Après ça ne va pas se faire en un jour : des collègues qui sont entrés il y a vingt ans n’ont jamais connu la police de proximité.
Propos recueillis par Frédéric Legrand
Dernier ouvrage de Serge Supersac : De la french connection à la french prohibition, éditions Saint-Honoré