Mineurs sous écrou
Si les tribunaux français sont engorgés, la justice des mineurs coule carrément sous l’eau. Adoptée en février, une réforme entrera en vigueur en septembre prochain. Son objectif : éviter au maximum le recours à la détention. Privilégier l’éducatif au répressif, c’est le grand principe censé déjà régir le traitement pénal réservé aux mineurs en France. Et ce depuis l’ordonnance fondatrice de la justice des mineurs promulguée en 1945. Mais dans les faits, et plus particulièrement dans les chiffres, la réalité est tout autre. En avril 2021, 75 % des mineurs incarcérés sont en détention provisoire, donc en attente de leur jugement, peut-on lire sur les statistiques du ministère de la Justice.
L’enjeu est de taille en Paca puisqu’on y dénombre six établissements réservés aux délinquants mineurs, en comptant celui de Borgo en Corse. En avril 2021 toujours, la direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) de Marseille répertorie alors 97 mineurs incarcérés, dont 47 au seul établissement de la Valentine. Seule la région Île-de-France compte plus d’enfants délinquants sous écrou.
Face à ce constat, le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti a cru bon de réformer de fond en comble la procédure judiciaire réservée aux mineurs (1). Pour faire simple, actuellement, un jeune de moins de 18 ans visé par des infractions est jugé lors d’un procès. À partir de septembre prochain, son jugement sera fractionné sur deux audiences. La première devra se tenir dans les trois mois suivant la fin de l’enquête – contre une moyenne de dix-huit mois actuellement – et servira à trancher sur la culpabilité. La seconde se tiendra dans les six à neuf mois suivants, et tranchera sur la peine. Entre les deux procès, le mineur pourra être soumis à une « mise à l’épreuve éducative ». De quoi renforcer « la primauté de l’éducatif », promettait le ministre au moment des débats parlementaires.
Mais sur le terrain, magistrats et éducateurs sont loin d’être convaincus. « Pour nous, cette réforme est une totale régression, s’insurge Nicole Quilici, secrétaire régionale du SNPES-FSU. L’éducatrice est en charge de l’insertion au domaine de la PJJ (Protection judiciaire de la jeunesse) des Chutes Lavie. Avec la période de mise à l’épreuve, on va rajouter des obligations aux jeunes et ce n’est pas nécessairement bénéfique. Si le jeune n’honore pas sa mise à l’épreuve, par exemple s’il ne se rend pas à ses rendez-vous, le deuxième jugement risque d’être plus sévère. » En clair, « la réforme crée une forme de contrôle judiciaire pour les mineurs. Elle donne à voir le délinquant, avant l’enfant en danger », estime-t-elle.
« La réforme donne à voir le délinquant, avant l’enfant en danger »
Pour améliorer la prise en charge des mineurs délinquants, il faudrait alors remonter au début de la chaîne, qui est compétence des départements : la protection de l’enfance. « La majorité des jeunes qui commettent des infractions ont d’abord besoin de protection. Ils sont souvent connus des éducateurs depuis longtemps pour problèmes familiaux, par exemple », conclut Nicole Quilici. Un constat partagé par Christine Bartolomei, ancienne présidente du tribunal pour enfants de Marseille : « Nous aurions voulu une réforme globale qui s’attaque aussi à la protection de l’enfance, volet où les délais sont encore plus longs que ceux du tribunal… »
Ce qui ennuie l’ex magistrate, c’est justement l’accélération des procédures qui est vendue avec cette réforme : « Nous ne sommes pas contre la césure du procès en deux temps. Mais en voulant à tout prix accélérer le traitement de la justice des mineurs avec des délais, on va à l’encontre du temps éducatif. C’est tout à fait irréaliste de demander aux juges et aux éducateurs des délais plus courts, alors qu’ils sont en sous-effectif. » Cerise sur le gâteau, Christine Bartolomei craint aussi que contrairement aux effets annoncés, la réforme pousse des magistrats pressés par le temps à prononcer encore plus de peines d’emprisonnement.
À Marseille, l’enfermement laisse d’ailleurs voir une problématique bien locale : la surreprésentation des mineurs isolés parmi les jeunes incarcérés. Ils sont « pour la plupart arabophones et originaires d’Algérie » pointe le rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté après une visite à l’EPM de la Valentine en 2017. Ce phénomène est loin d’être étranger aux enjeux de la réforme actuelle. En effet, selon ce même rapport, ces jeunes hommes « sont incarcérés à la suite d’infractions de nature correctionnelle pour des faits qui, en général, ne conduisent pas les mineurs de nationalité française à être placés en détention ».
Autre signe du développement de la répression des mineurs : la création de nouveaux CEF, pour Centres éducatifs fermés. Censés être une alternative à l’incarcération, « les CEF ont peu à peu remplacé les foyers classiques », regrette Nicole Quilici. Dans un article de novembre 2019, ils sont qualifiés par l’OIP (Observatoire international des prisons) d’« antichambres de la prison ». L’article précise : « Depuis leur création, le nombre de jeunes placés en CEF n’a cessé de croître à mesure que les centres ouvraient (…) alors que la délinquance est stable. »
La tendance ne devrait pas s’inverser. Une structure de ce type est attendue d’ici deux ans dans les Alpes-de-Haute-Provence, sur la commune d’Aiglun.
1. La députée LREM Alexandra Louis, qui a participé à la mission d’information sur la réforme, n’a pas répondu aux sollicitations du Ravi.