La justice sur le banc des accusés
Même si la « loi sur la confiance dans l’institution judiciaire », adoptée en novembre dernier, autorise désormais la captation vidéo, la chronique judiciaire dans les médias reste essentiellement un exercice écrit. Historiquement, elle n’a pas toujours été l’apanage des journalistes : fin 19ème, elle est réalisée par des avocats ! Et même si elle demeure un des rares événements que peut couvrir sans filtre un journaliste, elle pose depuis longtemps question (1). Avec les réseaux sociaux, l’exercice a évolué. Et, pour des jeunes collègues, elle permet de se faire la main (avant d’y faire ses armes). Mais des noms prestigieux s’imposent : comme l’ancienne chroniqueuse du Canard Enchaîné, Dominique Simonnot devenue depuis contrôleuse des lieux de privation de liberté…
Position d’infériorité
Sur la toile, certains sites se sont spécialisés dans la chronique judiciaire. Comme Épris de justice, fondé en 2014 par de jeunes journalistes qui ont eu pour partenaire notamment Vice. Plus récemment a surgi l’an dernier sur la toile La Sellette. Avec une approche résolument critique : « Chronique de la violence judiciaire ». Le nom fait référence au « petit siège en bois réservé aux prévenus », un « tabouret, très bas, taillé pour humilier l’accusé face à ses juges, littéralement en position d’infériorité ». La Sellette s’intéresse à « la justice pénale ordinaire », la « petite justice », celle qui, « loin des cours d’assises, ne s’applique qu’à des affaires peu spectaculaires » : les « comparutions immédiates ». Essentiellement à Toulouse.
A l’origine du site, deux personnes, dont Marie : « La première fois que je suis allée en comparution immédiate, j’ai été frappée par ce à quoi j’assistais. J’ai vu des gens envoyés en prison après un quart d’heure d’audience. Alors que le doute doit profiter à l’accusé, j’ai eu l’impression que c’était l’inverse. D’où la volonté d’une couverture systématique. L’idéal serait de le faire tous les jours. Mais on est bénévoles. On ne peut se le permettre. »
L’essentiel du blog, ce sont les comptes-rendus : trafic de stupéfiants, violences conjugales, défaut de papiers… L’écriture est sèche, non dénuée d’ironie. Et les titres donnent à entendre ce qui se passe dans les prétoires : « On doit demander de l’argent poliment », « La seule difficulté, ce sont les déclarations du prévenu », « Et pourtant, vous travaillez ! », ou encore « Elle attend quoi ? De faire un orphelin ? »
Système répressif
Confirmation de Marie : « Le journal local, La Dépêche, se targue d’être “neutre”, ce qui, à le lire, est loin d’être le cas. Nous, notre regard est très critique. Parce qu’on a vraiment affaire à une justice à charge. Notamment envers ceux qui ne sont pas dans la “norme”. Quand vous n’avez pas de travail, pas de papiers, pas de logement, on tombe dans les pires clichés et nombre de magistrats ne cachent même pas leur mépris. Ils se permettent de dire des choses effarantes ! »
De fait, même si ce qui est décrit est tout sauf surprenant – « on est dans un système particulièrement répressif », souligne Marie – la lecture est édifiante. Les chroniques trouvent leur prolongement dans l’émission de radio du magazine anti-carcéral L’envolée sur Fréquence Paris Plurielle. Le site fait entendre également des « paroles de prévenus » mais, pour l’heure, il s’agit d’extraits d’un livre intitulé Je ne pensais pas prendre du ferme, sur le traitement subi par une dizaine de gilets jaunes. « C’est une parole qu’il n’est pas facile de recueillir. Mais on compte solliciter les avocats qui nous sont proches », nous explique la rédactrice de ce site qui fait systématiquement relire ce qui est écrit par l’un d’eux. « On ne veut pas faire la moindre erreur. D’autant que c’est un univers que l’on ne connaissait pas auparavant. »
La Sellette propose quelques articles thématiques : l’histoire des comparutions immédiates, la question de l’interprétariat et celle de « l’enquête sociale rapide ». Alors, quand on interroge Marie sur la grève de la justice, le 15 décembre dernier, et la mobilisation des magistrats notamment, elle soupire : « Oui, la justice manque de moyens. Mais, si elle en avait plus, je ne suis pas sûre que ça changerait. Il y a des magistrats qui parlent très mal aux prévenus. Et quelques-uns qui sont très polis. Ce qui ne les empêche pas de les envoyer en prison comme leurs collègues. » Dans sa dernière newsletter, le site appelle ses lecteurs à un rassemblement contre la construction d’une nouvelle maison d’arrêt à côté de Toulouse…
1. « Le chroniqueur judiciaire, observateur pertinent des tribunaux ? », de Dominique Verdier, revue Droits et société n°63, 2006.