Falco bientôt au frigo ?

L’entêtement d’Hubert Falco et de Marc Giraud pourrait leur coûter cher. Alors que trois fonctionnaires (1) mis en cause par le parquet de Marseille dans l’affaire dite « du frigo de Falco » ont été condamnés le 15 mars dans une procédure de reconnaissance préalable de culpabilité, le « plaider coupable » à la française, à 10 000 euros d’amende avec sursis, les dénégations du maire ex-LR de Toulon et du président LR du Conseil départemental du Var sont risquées. Poursuivis pour détournement de fonds publics, les deux poids lourds de la droite varoise ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel et encourent jusqu’à dix ans d’emprisonnement et une amende de 1 000 000 d’euros. Sans parler d’une éventuelle inéligibilité. Ça fait cher l’assiette de riz et de jambon blanc !
La justice soupçonne le duo d’avoir fait porter par le Conseil départemental du Var, hors cadre légal, une partie du train de vie de d’Hubert Falco de 2002 à 2018. Une collectivité dont l’ancien ministre de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy n’est plus élu depuis 20 ans, mais dont il est resté président d’honneur et président de l’entraide des anciens élus. Depuis son départ de la présidence du Conseil départemental du Var en 2002, qu’il présidait depuis 1994, et le début des ennuis judiciaires de son mentor, le sulfureux Maurice Arreckx, le maire de Toulon et président de la métropole avait en effet pris l’habitude de venir déjeuner à la cafétéria de la collectivité.
L’enquête préliminaire a montré que l’ancien sénateur était loin d’être l’ascète décrit par Marc Giraud au début de l’affaire et que son appétit était féroce. Selon les enquêteurs, Hubert Falco a bénéficié de repas préparés et servis par des agents du Département, avec des denrées achetées par ce dernier, non seulement le midi mais également le soir et les week-ends, parfois aussi pour des fêtes ou repas en famille. Les plats étaient stockés dans un frigo spécialement dédié. L’ancien sénateur LR est également soupçonné d’avoir fait laver ses sous-vêtements et affaites de sport par le pressing titulaire d’un marché avec le Département. Des avantages évalués par un cadre du « CD 83 » à quelques 1 650 euros par mois (plus de 300 000 euros sur la période). Soit un peu plus d’un Smic brut et un cinquième des revenus déclarés par Hubert Falco (8 000 euros par mois d’indemnités pour ses mandats).
Soupçonné d’avoir validé ces pratiques, Marc Giraud a reconnu « sa responsabilité » pour les repas du midi, auxquels il a finalement mis fin à l’automne 2018 pour essayer d’éteindre l’incendie. Déjà inquiété par la justice pour sa gestion très personnelle de Carqueiranne (le Ravi n°142), dont il a été maire de 1997 à 2015, il nie par contre toutes les autres accusations. « Concernant les autres avantages, qui ont été instaurés avant ma prise de fonction et qui ont perduré durant ma présidence, mais dont je n’avais pas connaissance, je ne reconnais pas les faits », a insisté le président du Département durant sa garde à vue, en octobre 2021. Les alertes que deux DGS (Directeur général des services) assurent lui avoir fait remonter ? Des « menteurs » et des « rumeurs » ! « Les rumeurs ne m’intéressent pas, je veux des preuves écrites », s’est encore défendu Marc Giraud face aux enquêteurs de la brigade financière de Marseille, expliquant que ces fonctionnaires « se couvrent entre eux ».
Balkany du Var
Même défense d’Hubert Falco qui, lui, réfute tout en bloc. Lors de sa garde à vue, l’ancien ministre a ainsi assuré et répété ne pas « avoir bénéficié de ces pratiques et du calcul qui en découle ». A l’image d’un Patrick Balkany, le maire de Toulon hurle carrément au complot ! « Ces articles [qui révèlent l’enquête en octobre 2019, Ndlr] sont la conséquence d’une vengeance, d’un complot et d’un système », dénonce d’entrée d’audition Hubert Falco. Selon l’ancien ministre, la « vengeance » serait celle d’une syndicaliste de l’Unsa (2) et le « complot » fomenté par son opposante à la mairie et députée la REM de Toulon Cécile Muschotti. Quand au « système », il s’agit de faux à son nom réalisés pour masquer de vrais détournements de moyens du Département (3). « Finalement, je me rends compte que [mon nom] était une immunité », s’indigne Hubert Falco devant les policiers. Curieusement, ces derniers n’ont pas exploré cette piste…
Les enquêteurs ne semblent pas plus convaincus par deux autres arguments d’Hubert Falco. D’abord, les moyens dont il dispose à la mairie de Toulon et à la métropole pour assumer ses frais de représentation et ses repas. Ensuite, une présence importante à Paris sur la période en tant que sénateur (1995-2017) et membre des gouvernements Chirac et Sarkozy. Contacté, son avocat, comme celui de Marc Giraud, n’a pas répondu à nos sollicitations.
Si le duo est toujours présumé innocent, les investigations mettent en avant nombre de bons de commande et factures (les faux selon le maire de Toulon) loguées « HF » ou « PH » – Hubert Falco ou Président d’Honneur – et témoignages à charges. Comme le résume le directeur de cabinet de Marc Giraud, qui n’est pas poursuivi, dans une écoute téléphonique versée au dossier : « Falco […] est dans la nasse parce que tout le monde a balancé. » Et d’insister : « Ils ont des liasses de preuves et des centaines de témoignages » (4). Une dizaine de fonctionnaires du Département – secrétaires, cuisiniers, maître d’hôtel, cadres – entendus pendant la procédure confirment en effet les pratiques illégales au bénéfice du maire de Toulon. Notamment les trois directeurs condamnés le 15 mars et qui ont reconnu les faits.
Un gendarme à Toulon
C’est par exemple le cas de l’ancien directeur des relations publiques, embauché selon lui pour « remettre de l’ordre dans la direction ». Dans sa seconde audition, ce colonel de gendarmerie à la retraite explique : « Découvrant le département appui et protocole, j’ai constaté l’existence de certaines pratiques illégales, à savoir des bons de commande de denrées alimentaires pour la préparation de repas au bénéfice des époux Falco. L’autre pratique était le nettoyage des vêtements personnels de monsieur Falco par le département du Var à travers un marché public avec une société de pressing. » On ne refait pas un militaire : il a mis en place une comptabilité parallèle pour toutes ces dépenses au bénéfice du maire de Toulon.
A la lecture des auditions, c’est aussi la crainte d’Hubert Falco qui transpire, certains le qualifiant de « patron » du Département. Malgré les interpellations de ses DGS sur le problème, Marc Giraud juge ainsi qu’il est urgent d’attendre et n’agira que sous la pression. Alors qu’on lui demande de mettre fin aux repas gratuits d’Hubert Falco, un directeur de service s’inquiète lui de savoir si le maire de Toulon est informé de la décision avant de faire redescendre la consigne. Il n’aura jamais de réponse et les pratiques se poursuivront. « Il ne fallait pas faire de vagues autour de [monsieur Falco] car celui-ci avait une emprise sur l’administration » et que « tout ce qui le concernait était tabou », raconte encore aux policiers un directeur général adjoint.
Résultat, quand les enquêteurs demandent à Marc Giraud si Hubert Falco aurait continué à bénéficier de repas gratuits sans les révélations, le président du Conseil départemental avoue avec franchise : « En toute honnêteté, oui, certainement. Bien que n’étant pas légale, cette coutume avait une importance pour monsieur Falco qui restait et reste toujours attaché au Département. » Au regard des montants en jeu, on comprend Hubert Falco.
1. Mis en cause par l’enquête préliminaire, quatre autres fonctionnaires n’ont finalement pas été poursuivis.
2. Hubert Falco évoque également un ancien directeur général des services du « CD 83 » qui lui ferait payer son soutien dans une municipale à un adversaire politique de sa mère.
3. Cette dernière, qui s’était inquiétée des largesses de la collectivité et les a dénoncées à la justice, a elle été victime de pressions et de menaces de mort. Elle a porté plainte. Très affecté par l’histoire et inquiet pour ses proches, le responsable des cuisines du Conseil départemental qui est à l’origine de la fuite des documents s’est suicidé il y a un an, vêtu d’un t-shirt de la collectivité.
4. L’enquête a montré que toute une partie de la comptabilité de la direction concernée avait curieusement disparu.