Don Ferdinand en procès - 2ème partie : la maîtresse...
Au deuxième jour de son procès, le 9 juin à Marseille, Ferdinand Bernhard tombe le masque – au sens propre du moins – et le gant sur le micro restera le même pour tout le monde tout au long de la journée. Les journalistes semblent faire fi des distances sanitaires. Heureusement, pour se rappeler la période post-confinement, le vigile à l’entrée du tribunal badigeonne encore de gel hydroalcoolique les mains de chaque visiteur… Rappel : après huit ans d’enquête, dans son ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel de Marseille de novembre 2018, le juge d’instruction a retenu cinq éléments pouvant être qualifiés de « prise illégale d’intérêt, détournement de fonds publics et favoritisme ». L’édile qui vient d’être réélu au premier tour avec 68 % des voix (et 70 % d’abstention), risque jusqu’à dix ans de prison et d’inéligibilité. Son avocat, Maître Julien Pinelli souhaite quant à lui la relaxe face à ce qu’il considère comme « des accusations calomnieuses ».
Ce mardi matin, Sybille Beaufils ouvre le bal. Depuis hier, on la sent très stressée. Il y a de quoi. L’ancienne maîtresse du maire, de 2009 à 2012, doit répondre des accusations de « recel de détournement de fonds publics et recel de prise illégale d’intérêt » concernant son « ascension fulgurante » de contrôleuse de gestion à directrice générale des services (DGS), doublant sa fiche de paie, avoisinant certains mois les 5 600 euros, ce qui en fait un des trois plus hauts salaires de la mairie. Veste de tailleur bleu marine, pantalon assorti et chignon blond relevé sur la tête, Sybille Beaufils, 49 ans originaire du Luxembourg, explique brièvement son arrivée à Sanary dans les années 2000.
Promotion express
À l’époque elle ne connaît pas personnellement le maire, « même si c’est lui qui m’a mariée », précise-t-elle. En février 2009, lorsqu’elle candidate au poste de contrôleur de gestion, le maire l’embauche pour trois mois sans véritable entretien, ni contrôle de ses compétences. Ce qui l’avait surprise, raconte-t-elle. À peine en poste, elle décide de faire un audit et c’est là qu’elle découvre un trou de 3 millions d’euros dans le budget de la commune, correspondant à des recettes fictives. Elle, comme le maire, ont toujours mis en cause la directrice financière sur ce dossier-là. Quelques temps avant que la Chambre régionale des comptes n’y mette son nez, c’est bien pratique. Aussi, pour la remercier, Ferdinand Bernhard renouvelle son contrat de trois mois supplémentaires avant de la propulser à l’été 2009, au moment où leur relation intime prend forme, au poste de collaboratrice de cabinet puis de DGS. Même si au vu de ses diplômes, et sans concours, elle n’aurait jamais dû y prétendre. D’ailleurs elle ne l’est pas officiellement et n’a le droit de signer aucun document.
« Ce sont deux métiers différents auxquels vous postulez, vous n’avez pas à remplir les mêmes fonctions…. Être collaboratrice de cabinet, ça demande d’avoir une certaine osmose avec le maire… », souligne la présidente du tribunal, Céline Ballerini. Elle poursuit frontalement : « Qu’est-ce qui fait que l’on vous donne ce poste ? » Sybille Beaufils, assure, forte de sa découverte du budget insincère, qu’elle avait toutes les compétences et la confiance du maire pour remplir son rôle au cabinet puis à la direction générale des services. L’ancienne DGS paraît beaucoup moins lucide qu’en 2015 où elle déclarait aux gendarmes qu’effectivement sa promotion était sûrement liée à sa relation intime avec le maire débutée à l’été 2009. Aujourd’hui, c’est un autre son de cloche. Et elle ne sait même plus dater leur début d’idylle, mais c’est sûr, elle l’affirme mordicus, c’était après son recrutement au poste de collaboratrice de cabinet.
« Il se comporte comme un roi »
Elle décrit une relation « compliquée », qui l’a « déstabilisée ». En 2010, elle fait une dépression et en 2012 lorsque la relation prend fin et que le maire découvre qu’elle sort avec un jardinier de la commune, il la placardise et la rétrograde mais en lui laissant son salaire. L’avocate des parties civiles lui rappelle ce qu’elle disait du maire aux gendarmes en 2015 : « Il méprise les gens, il se comporte comme un roi, c’est lui qui décide de tout , il ne supporte pas d’être contredit, ni d’être mis face à ses responsabilités. » Devant la Cour, elle ne souhaite pas commenter ni donner les noms d’autres agents, proches du maire, qui toucheraient les meilleures primes, comme elle le déclarait aussi en 2015.
À son tour, le procureur, Étienne Perrin, la pousse dans ses retranchements face ses déclarations contradictoires entre 2015 où elle disait qu’« avec du recul » elle se rendait compte de sa promotion canapé et aujourd’hui, où toujours « avec du recul », elle affirme que sa promotion est plutôt liée à son travail. « Vous comprenez la plainte quand même, Madame Beaufils ? », s’enquiert le procureur lui faisant remarquer qu’on a l’impression qu’il y a « deux reculs ». Il poursuit : « Peut-être est-ce mon esprit tordu qui en vient à le penser mais on a l’impression que vous avez changé de version lors de votre mise en examen. » Afin de la provoquer, Il en remet une couche : « Ce que je comprends c’est que pour bien travailler en confiance avec monsieur Bernhard, il faut avoir une relation avec lui ? »
Maîtresses, au pluriel
Au tour du maire de s’expliquer à la barre. « On n’est pas là pour rigoler, ce n’est pas de l’eau de rose », lance-t-il, avant de digresser comme à son habitude. La juge le recadre comme lors du premier jour de l’audience. Ferdinand Bernhard explique que pour recruter ses collaborateurs, il a toujours fonctionné au feeling et « à la confiance ». « Pourquoi avoir toujours versé des primes maximum à Sybille Beaufils ? Pourquoi lui avoir laissé le même salaire ? », interroge la juge. Une façon « de conforter » ses collaborateurs à rester à la mairie, assure-t-il. Lui non plus ne se souvient pas du début exact de leur relation – que l’un et l’autre ont toujours déclaré en plein été – mais il en est sûr, ce n’était pas au moment de son recrutement comme collaboratrice, en août 2009. Il table plutôt sur fin septembre. La présidente le concède, à l’époque la loi de 2017, sur la moralisation de la vie publique et l’embauche d’un concubin, n’avait pas cours. Et il n’était donc pas interdit d’embaucher sa compagne. Aujourd’hui ça serait différent…
Au bout d’une heure d’audience, Ferdinand Bernhard s’éponge le crâne et tombe la veste. Face à une jeune juge qui ne lui épargne rien, l’édile de 68 ans joue la carte féministe : « Je n’aime pas trop le mot maîtresse […] Il est totalement indécent de considérer qu’une femme puisse avoir sa carrière parce qu’elle a eu une relation avec quelqu’un ! » Et d’en remettre une louche au cas où la juge n’aurait pas compris : « Quand une personne a des qualités, il faut regarder ses qualités avant d’aller voir dans sa salle de bain », tonne-t-il. La juge sourit.
Mais on apprend par l’avocate des parties civiles, Me Huguette Ruggierello, que c’est une habitude chez le maire que de confier des postes de collaboratrices à ses maîtresses. Avant Sybille Beaufils, il y a eu Nathalie Bicais, actuelle candidate LR à la mairie de La Seyne. Et aujourd’hui, il y a Florence Chave-Martinez, assise en fond de tribunal. « C’est ma secrétaire ! », s’énerve Bernhard. « Ah oui ? Pourtant elle apparaît comme assistante au dessus du DGS dans l’organigramme de la mairie », souligne l’avocate. Le procureur achève le maire qui transpire : « Monsieur Bernhard, est-ce que les fonctions n’ont pas été un moyen de gratifier vos maîtresses ? » Et l’édile de s’en sortir comme toujours par une pirouette : « Monsieur Doriol est mon directeur de cabinet à l’agglo, à ce que je sache, je n’ai pas de relation intime avec lui ! » Il est temps d’aller déjeuner, la matinée a été rude, l’après-midi ne le sera pas moins…