« Elle a pas ajouté « Kss ! Kss ! »... »
Au-dessus de la porte, ouverte pour permettre l’aération anti-covid, les câbles en acier de la rambarde du premier étage résonnent comme un piano désaccordé. Le téléphone d’un des avocats déclenche le thème des Aventuriers de l’arche perdue. Ce lundi après-midi de février, la cour d’appel d’Aix-en-Provence se prépare à rejuger Danielle, Gilet jaune du Var, condamnée en première instance pour avoir injurié des policiers, les avoir filmés et diffusé en direct leurs images sur les réseaux sociaux, à l’occasion d’une manifestation à Marseille au printemps 2019. Venue avec ses proches et plusieurs Gilets jaunes, elle espère obtenir une relaxe, après avoir écopé en première instance d’un an de prison avec sursis.
Trois policiers se sont portés partie civile, dont deux qui ne sont désignés que par leur matricule. Procès-verbal à la main, la juge assesseure mène l’interrogatoire, tente de comprendre. « Il peut y avoir un phénomène d’entraînement en manifestation, mais on est pas obligé d’utiliser des termes violents… Les mots aussi peuvent avoir un phénomène d’entraînement. Là, vous proférez des insultes, vous dites “niquez-les”, “faut faire sauter quelque chose” ! » « Ce sont des termes violents oui, j’ai honte, assume Danielle. Mais je parlais en général, de faire sauter le gouvernement… C’était un contexte, c’était un mouvement social. »
Cheveux roses
Autant que les insultes, ce sont les commentaires laissés sous la vidéo et la photo des policiers qui interpellent les parties civiles. « C’était la première fois que je faisais un live, je n’ai pas regardé les commentaires », assure Danielle. « Vous avez pourtant des notifications qui vous disent quand vous avez des commentaires, contre-attaque Me Nicolas Gossin. En dessous de la photo où l’on reconnaît très bien mon client, on peut lire “Partagez un maximum pour qu’on le trouve”, “Au moins celui-là on connaît son nom”… Vous aviez tout le loisir de stopper cette escalade de haine. Mon client a dû demander sa mutation dans une autre région pour protéger sa famille. Il y a l’exemple de Magnanville ! »
À la mention de l’attentat terroriste qui a coûté la vie à deux policiers à leur domicile en 2016, les proches de Danielle s’étouffent : « Ça n’a rien à voir !! ». Me Virgile Reynaud, avocat d’une policière, monte lui aussi au créneau. « À l’époque de la manifestation, la police est tellement débordée qu’on appelle tout le monde. Ma cliente intervient en fin de manifestation sur une interpellation qui se passe sans heurts. Mais la prévenue lui tourne autour pour la filmer, en cherchant manifestement à créer l’incident. Ma cliente lui demande de partir à plusieurs reprises sans succès. Elle fait partie d’une unité qui est en permanence sur la voie publique. C’est une jolie jeune femme blonde avec le bout des cheveux teints en rose. Avec la vidéo tournée par madame, elle est ultra repérée… » « Elle a qu’à se couper les cheveux ! », soupire quelqu’un dans le public. « Elle a dû changer de couleur et se couper les cheveux », assure l’avocat, comme s’il avait entendu.
« Il respire la haine »
Pointant autant des outrages qu’une « provocation au crime » envers les policiers, le parquet doit pour autant prouver que Danielle avait l’intention de nuire. L’avocat général Thierry Villardo est perplexe. « Le ministère public n’est pas là pour représenter les forces de l’ordre, mais pour appliquer la loi. Madame savait-elle que son outrage allait immanquablement être porté à la connaissance des policiers ? Même si c’est extrêmement désagréable au vu des conséquences sur des personnes qui n’ont fait que leur travail, ce cas pour le moment n’est pas prévu par la loi… On est complètement dans ce débat [sur le projet de loi de sécurité globale et son article 24 qui pénalise la diffusion d’images de policiers]. » Sur l’outrage, l’avocat général s’en remet « à l’appréciation de la cour » mais, sur la provocation, il martèle. « Elle dit “le rouquin moche”, “mal baisée”, “connasse”. Elle a pas ajouté “Kss ! Kss !”… Il respire la haine, ce dossier. C’est aveuglant. Elle considère qu’on peut dire des choses comme ça impunément. ». Estimant la peine d’un an avec sursis « un peu excessive », il réclame… dix mois avec sursis.
Pas démonté pour autant, Me Julien Genova s’appuie sur les procès-verbaux d’audition : « Pour décrire la vidéo, l’officier de police judiciaire écrit qu’elle commente ce qu’elle voit à la manière d’un reportage en direct. Pour inciter à un délit on s’adresse à des personnes précises ! Et pour l’outrage la jurisprudence est claire : il faut l’intention qu’il soit rapporté à la personne visée. Or même le commissaire [troisième policier partie civile] a reconnu lors de la confrontation qu’elle ne l’a pas insulté personnellement ! ». Estimant qu’en première instance le tribunal « a voulu donner une leçon », l’avocat réclame la relaxe. Décision attendue le 15 mars.