Alexandre Guérini et les comptes offshores : une « machine infernale à frauder »
« Je ne suis pas un financier, je suis un bosseur ! » La formule, prononcée par Alexandre Guérini lors d’une audition, est reprise en ouverture d’audience ce 24 mars par Céline Ballerini. « Je me permets de vous citer, parce que j’estime que cette phrase est un parfait préambule aux faits que nous allons aborder aujourd’hui », glisse la présidente du tribunal correctionnel de Marseille un sourire en coin. À savoir, en cette deuxième semaine de procès des frères Guérini : le blanchiment d’argent réalisé à la suite de la vente à Veolia de la Somedis, société par laquelle Alexandre exploitait la décharge de la Vautubière. L’opération réalisée en 2002 rapporte alors au prévenu plus de 21 millions d’euros, récupérés en espèces puis transférés du Luxembourg à la Suisse à l’aide d’une succession de comptes offshores.
Alexandre Guérini, col roulé et costard noir, s’avance à la barre. Sa voix, grave et souvent très assurée, n’est pas la seule à être entendue ce mercredi. Car dans cette histoire qui convoque aussi les îles Vierges et le Panama, un protagoniste peut bien s’apparenter au « financier » : David Zerbib, à l’époque banquier à Genève pour le compte d’IDB (Israël Discount Bank). En 2005, c’est cette banque qui accueillera les fonds d’Alexandre Guérini, via trois sociétés-écrans domiciliées dans des paradis fiscaux. Après une mise en examen et même un passage éclair à Fleury-Mérogis puis aux Baumettes en 2014, ce professionnel de la finance explique aujourd’hui avoir « réussi à rebondir ». Ce mercredi 25 mars, prévenu, il est auditionné par visioconférence depuis son hôtel de Dubaï, où il est coincé pour des affaires.
« Est-ce que j’ai pensé à rapatrier cet argent en France ? Évidemment ! »
Mais tout d’abord, le tribunal examine les premières transactions, celles qui interviennent au moment de la vente de Somedis en 2002. Elles sont effectuées au Luxembourg et sont déterminantes : une fois les millions d’Alexandre Guérini mis à l’abri hors de l’hexagone, ils n’y retourneront plus. Au moment de la vente de Somedis en décembre 2002, c’est Jean-Pierre Rey, associé d’Alexandre Guérini, qui encaisse la somme. Le frère de Jean-Noël ne peut en effet pas apparaître dans la transaction, puisqu’il a signé une clause de non-concurrence vis-à-vis de Veolia, et qu’il ne compte pas la respecter.
« Nous avons payé en France la taxe sur la plus-value réalisée avec la vente. Le seul délit dont je suis coupable lorsque je décide de transférer au Luxembourg, c’est d’échapper à l’impôt », se défend Alexandre Guérini. De quoi faire bondir un assesseur : « En transférant les fonds au Luxembourg, vous êtes coupable de fraude fiscale une première fois. Mais dans les années qui suivent, vous ne cessez de changer de comptes, au Luxembourg puis en Suisse. Entre-temps, vous faites des bénéfices sur cet argent que vous ne pouvez pas déclarer. Votre système, ça a l’air d’être une machine infernale à frauder ! »
« Est-ce que j’ai pensé à rapatrier cet argent en France ? Évidemment ! Mais je ne l’ai pas fait. Il faut que je sois cohérent et que j’assume. Vous avez parfaitement raison. J’ai de l’argent qui a engendré des bénéfices, et je n’ai pas payé », plaide Alexandre Guérini. En décembre 2002, Jean-Pierre Rey hérite de plus de 32 millions d’euros, qu’il place immédiatement au Luxembourg sur un compte de la banque Natixis. Entre janvier et juin 2003, six retraits sont effectués pour un total de 21 millions d’euros. Et c’est justement en juin 2003 qu’Alexandre Guérini ouvre son propre compte, également à Natixis, afin d’y déposer la somme… Les mouvements ne s’arrêtent pas là. Plusieurs fois, Alexandre Guérini demandera par la suite à son conseiller bancaire de procéder à des transferts « en toute confidentialité », écrit-il sur ses courriers.
« Discrétion, oui, dissimulation, non ! »
C’est l’intervention d’un homme d’affaires, PDG dans l’imprimerie, Sylvain Benarouche, qui prépare le transfert des fonds du Luxembourg à la Suisse. Les deux entrepreneurs expliquent se rapprocher au sujet d’un projet immobilier en Israël et parlent donc finances. « A priori, Alexandre Guérini demande à Sylvain Benarouche ce qui vaut mieux entre le Luxembourg et la Suisse, rappelle la présidente en s’appuyant sur les auditions de ce dernier. Monsieur Benarouche répond que la Suisse, c’est plus hermétique. » Et présente alors Alexandre Guérini à David Zerbib.
« J’ai l’impression que votre travail à IDB consistait à proposer des solutions clef-en-main à vos clients, qui impliquaient de créer à la fois un compte bancaire et une société », interroge Céline Ballerini. La présidente fait allusion aux trois sociétés-écrans détenues par Alexandre Guérini dans des paradis fiscaux, associées à trois comptes distincts ouverts chez IDB en 2005, 2006 puis 2007. « Quel est l’intérêt pour vos clients de choisir une telle formule ? » demande-t-elle au prévenu. « Je pense que ces clients recherchent la discrétion », avance David Zerbib. « Discrétion, oui, dissimulation, non ! », rétorque alors Alexandre Guérini.
La magistrate poursuit l’audition de David Zerbib : « Ma question peut vous paraître naïve, mais vous ne vérifiez pas l’origine des fonds quand un client vient à IDB ? » Ce dernier précise : « A l’ouverture du compte, oui. Nous soumettons un questionnaire au client, il est ensuite validé par la banque. » Chaque transfert est ensuite paraphé de ses mains.
Vient le tour du procureur, qui interroge alors Alexandre Guérini : « Votre premier compte à l’étranger, vous l’avez ouvert quand ? » Le prévenu hésite, se tait, et dit ne pas s’en souvenir. Le magistrat lui remémore l’existence du compte « Hermès », ouvert en Suisse en 1991 et dont Jean-Noël Guérini avait d’ailleurs procuration. « Je vais vous étonner, tente Alexandre Guérini après quelques secondes de réflexion, mais j’avais complètement oublié son existence ! » Il n’omettra pourtant pas de clôturer le compte en 2007, et d’y transférer les fonds vers son nouveau compte tout juste ouvert chez IDB. Histoire de « faire disparaître le nom de Jean-Noël », estime le procureur. Et de boucler la boucle.