« Vous ne comprenez strictement rien »
La séance a commencé depuis quelques minutes. Le journaliste du Ravi a raté la bonne direction au rond-point de la sortie d’autoroute de Bollène (84). Les locaux de la communauté de communes Rhône-Lez-Provence (CCRLP), créée en 2005, jouxtent le Mc Do du coin. Au menu de ce soir, le très glamour débat d’orientation budgétaire (DOB) 2014. Mais il y a comme une petite odeur de grabuge ! Le président (PS) de la CCRLP, Jean-Pierre Lambertin, vient en effet d’entrer en campagne pour ravir le siège de l’hôtel de ville à Marie-Claude Bompard (Ligue du Sud, extrême droite).
18h04
Jean-Pierre Lambertin, accent provençal, collier de barbe poivre et sel, crâne dégarni et veste en tweed noir, expédie les affaires courantes avant de passer à la présentation du DOB. Les tables sont disposées en U. Sur l’aile droite du président, cinq élus bollénois sont présents. Parmi eux Madame le maire Bompard bien sûr, chandail gris et chemisier blanc, mais aussi André-Yves Beck, matière grise des Bompard et adjoint à la mairie de Bollène, en pull noir, les yeux mi-clos derrière ses petites lunettes. L’absence d’un élu de la ville centre est à noter : celle de Paul Eymard, récemment destitué de ses fonctions à la mairie pour avoir monté une liste dissidente en vue des prochaines élections municipales.
18h05
André-Yves Beck souffle quelques mots à l’oreille de son maire. Aurait-il remarqué la présence du journaliste du Ravi, mensuel honni de la galaxie Bompard ? Pendant ce temps, Lambertin disserte sur les orientations budgétaires : « Il faut bien cerner les espaces disponibles sur nos communes pour en faire du foncier économique, analyser nos ressources pour faire face aux demandes. » Il annonce aussi la fin des travaux de la gendarmerie de Bollène, des locaux intercommunaux et la continuité des investissements pour la restauration collective, repassée en régie publique en 2012. « Nous continuons à agir en matière de service à la population », se gargarise-t-il.
18h16
Beck envoie un texto et referme la pochette de son Iphone d’un geste vif.
18h17
Le président continue son long monologue. Il évoque les 50 contrôles prévus sur l’assainissement de l’eau : « Nous allons moderniser les installations de chacune des communes, et remettre aux normes celles qui ne le sont pas. » Il jette un regard furtif vers le maire de Bollène…
18h19
L’exposé est terminé. André-Yves Beck prend la parole : « Ca ne sera pas long. » Juste 10 minutes. L’idéologue d’extrême droite commence par démonter le document du DOB, qui après consultation au journal des maires, doit comporter des éléments absents de celui de ce soir. Lambertin garde la tête baissée. « Le document ne permet pas de tenir un débat sérieux, poursuit Beck. Mais nous avons pu trouver des chiffres qui n’y figurent pas et nous allons comprendre pourquoi. » Il fustige une hausse de la fiscalité et donc des recettes qui ne s’accompagnent pas d’un transfert financier aux communes équivalent. Lambertin semble cette fois agacé. Beck préconise une baisse de la CFE (contribution financière des entreprises qui a remplacé la taxe professionnelle) pour plus d’attractivité plutôt que la création d’un hôtel des entreprises (une sorte de pépinière). Entre temps, il qualifie les élus de Mornas de « cocus de l’intercommunalité », estimant qu’ils paient pour des services dont ils ne bénéficient pas. Il garde quand même un bon mot pour la construction de la gendarmerie, tout en nuançant : « enfin, enfin ! »
18h29
Marie-Claude Bompard prend le relais. L’intervention de Beck avait déjà fait monter la pression, dans l’aréopage mais également au sein du public. « Ce document montre que vous ne comprenez strictement rien », lance-t-elle au président. A la droite de Lambertin, bien assis sur sa chaise, Christian Peyron, le maire (PS) de Mondragon, au physique de pilier de rugby, lui répond avec un accent à couper au couteau : « Vous non plus vous n’y comprenez rien. » Lambertin intervient : « S’il vous plaît, gardez votre calme, pour la sérénité du débat. » Il répétera cette phrase, ou d’autres du même acabit, pas loin de 10 fois dans la soirée. Avec plus ou moins de détermination. Dans l’assemblée, on ricane.
18h32
Madame Bompard continue. En parlant d’une ZAC, elle évoque « le non-remboursement de 3 millions et demi d’euros. Une injustice. Quand vous aurez compris cela, vous aurez tout compris ». Lambertin tente d’intervenir. « Je ne vous ai pas coupé la parole monsieur », lance Marie-Claude d’un ton mi-éraillé, mi-énervé. « Oui mais je ne peux pas vous laisser dire de bêtises, lui renvoie l’intéressé. La ZAC c’est mon prédécesseur qui a géré le dossier. » « Vous étiez au pouvoir », fulmine la maire de Bollène. Après s’être fait traiter de cocu une nouvelle fois, le maire de Mornas (apparenté PCF), Denis Dussargues, explose : « Ce n’est pas le lieu pour les interventions théâtrales, votre spécialité. »
18h34
La parole est toujours au MC Bompard. Elle balance des chiffres sur la désertion des entreprises en France à cause de la pression fiscale exercée sur elles par le gouvernement. La foire d’empoigne commence dans un brouhaha incompréhensible. Peyron : « Arrêtez de faire de la politique politicienne ! » Marie-Claude Bompard menace de s’en aller. Le calme revient. Elle évoque le taux de contribution des entreprises de 34 %, contre 20 % dans une commune voisine, celle de Pierrelatte tout en accusant le président de ne pas être « respectueux de l’argent public ».
18h40
Lambertin remet les pendules à l’heure : la taxe professionnelle a toujours été élevée à Bollène et c’est l’Etat qui a fixé le nouveau taux de 34 % pour la CFE. « Si ce taux était plus bas, la communauté de communes ne vous aurait pas reversé 13 millions d’euros », tacle le président. Mme le maire de Bollène semble désabusée.
18h44
Beck tente de sauver les meubles : « Nous ne vous faisons pas grief de ces 34 %. Nous disons simplement qu’il existe des marges de manœuvre pour adapter la fiscalité des entreprises. » Difficilement convaincant.
18h50
Un élu de Mornas en fauteuil roulant, Bruno Genta, demande la parole. « Ce n’est pas la première fois que je le dis mais au lieu de venir critiquer le fonctionnement du conseil en séance publique, il faudrait peut-être que vous veniez travailler en commission ! », s’énerve-t-il à l’adresse des élus bollénois. Qui se plaignent en retour que quand ils se rendent en commission, ils ne sont jamais écoutés. Le brouhaha recommence pour de longues minutes.
19h03
Le président tente de clôturer la séance alors que tout le monde continue de s’écharper. « Sur ce, la séance est levée », déclare-t-il, impassible mais presque inaudible. Jean-Pierre Lambertin nous confie ensuite : « Ce conseil était relativement calme aujourd’hui. » Tout est relatif ! En partant, André-Yves Beck tient à saluer le journaliste du mensuel qui ne baisse pas les bras. « Vous travaillez pour qui, demande-t-il. Ah le Ravi ! Je m’en doutais… » Démasqué !
Clément Chassot