« Veuillez respecter le nouveau maire, Madame ! »
09h47
Bâtisse traditionnelle classieuse, la mairie du Pontet prend pied à l’écart du centre ville, dans un petit bois où règne encore un peu de fraîcheur en cette journée de juin. Une fontaine à jets d’eau ajoute au cachet provençal de ce lieu cossu… Qui ne colle pas vraiment à la réalité financière de la ville : 50 millions de dette en 2014, soit environ 3000 euros par habitant, le triple de la moyenne nationale. 10 jours auparavant, sous l’œil de toutes les caméras de France et de Navarre, le jeune et fringant frontiste Joris Hébrard (33 ans) récupérait dès le 1er tour les clés de l’Hôtel de ville après l’invalidation de l’élection au début de l’année. Aujourd’hui, c’est donc sa seconde intronisation.
09h48
Fidèle à l’image dynamique que veut se donner le maire, un autre conseil municipal, où le Ravi n’a pu se rendre, s’est tenu seulement 10 jours plus tard, le 16 juin. Celui-là fut beaucoup plus animé. D’abord, un jeune conseiller municipal, Julien Tissot, déjà démissionnaire avant de rentrer dans le rang en 2014, a rassemblé la presse pour affirmer que le maire et son directeur de cabinet « salissent le FN », évoquant un « système mafieux ». Il a même porté plainte : officiellement il accuse l’équipe du maire d’avoir fait signer à tous les élus avant l’élection un document actant de leur démission, au cas où. Qu’elle s’est empressée d’utiliser… Julien Tissot a fini par se faire sortir de la mairie par la police municipale. Des histoires d’argent aussi seraient plus officieusement en cause. Car une fois l’élection invalidée, la gestion de la mairie a été assurée par un triumvirat d’administrateurs, le budget élaboré par la chambre régionale des comptes validé par la préfecture. Et il se trouve que l’enveloppe destinée à indemniser les élus, 45 000 euros, a entièrement été mangée par les administrateurs… Tous les élus, y compris le maire, travailleront bénévolement jusqu’au vote du prochain budget, un cas unique en France. La Cour des comptes a aussi prévu une hausse des impôts contraire au programme de Joris Hébrard. Enfin, elle juge illégale la prime versée aux fonctionnaires municipaux, même si la moitié de celle-ci a été budgétisée. Mais le maire rechigne à la verser. La bataille avec le personnel s’annonce d’ailleurs sanglante car la réduction du nombre de fonctionnaires (aujourd’hui 500) est un des objectifs principaux du Front, ici et ailleurs. Une cinquantaine de syndiqués se sont fait remarquer en séance en insultant copieusement le directeur de cabinet, Xavier Magnin.
09h52
Xavier Magnin, justement, directeur de cabinet de l’ex frontiste Jacques Bompard à Orange pendant 15 ans, papote, ce 6 juin, avec le maire sur un balcon qui surplombe les marches d’entrée de la mairie. Costards impeccables, beige pour le premier et bleu pour le second, lunettes de soleil fashion… Les play-boys du Pontet.
09h56
Tout le monde ne pourra pas entrer dans la salle du conseil municipal, très kitsch, années 70. La majorité du public sera installée juste derrière avec visionnage sur écran plat au fonctionnement incertain. Le coin presse est minuscule et faire rentrer les six journalistes relève de l’exploit à la Tetris. Le dircab’ Xavier Magnin vient saluer la presse : « le Ravi ? Ah, je suis ravi. » Nous aussi. Au loin, un élu FN passe, Frédéric Monin, costard bleu éblouissant et lunettes teintées d’un bleu aussi surprenant. Orlando peut retourner se coucher.
09h59
Tous les élus sont debout, collés serrés, en attendant que le grand administrateur qui préside ce début de conseil, Jean-Louis Cros, ex directeur général des services à la mairie d’Avignon, ne les appelle. Du côté de la majorité, quelques jeunes naviguent entre papys et mamies BCBG et une armée de clones-légionnaires à la coupe militaire parfaite. Joris Hébrard, parfaitement rasé, attend son heure juste devant l’entrée de la salle du conseil.
10h00
Jean-Louis Cros ouvre la séance. Il annonce que le conseil va élire son maire avant d’appeler les élus un par un et de laisser la présidence au doyen d’âge, Christian Robinat. Hébrard est le premier appelé. Il s’avance, les flashs crépitent puis il s’assoit tranquillement.
10h07
L’appel est fini, tous les élus et militants, nombreux, applaudissent à tout rompre. Christian Robinat, bonhomme, petites lunettes et costume bleu explique les règles du scrutin. Les élus commencent à aller voter dans l’isoloir, au fond de la salle. Gros suspense.
10h10
« On peut accélérer un peu ? », demande le doyen. Derrière lui, le grand manitou Xavier Magnin, posture et regard de guerrier, est assis juste en dessous du buste de Marianne. Cette fois, il va vraiment falloir s’y habituer.
10h23
Jean-Firmin Bardisa, le principal opposant, plutôt classé à droite mais tête d’une liste « citoyenne » est appelé à voter. Le grand dadais au visage sérieux et profil de fonctionnaire catégorie A est impassible.
10h27
On dépouille. Roulements de tambour… Sur 33 bulletins, 6 nuls, 27 exprimés. Tous pour Hébrard. La salle exulte, il se lève, on lui remet l’écharpe tricolore. Re flashs de partout. Il peut enfin prendre la présidence du conseil.
10h32
Un simple bonjour du maire qui annonce qu’on va procéder à l’élection des adjoints. Une seule liste est proposée… Caroline Grelet-Joly, ensemble orange fluo et lunettes turquoise, qui a monté une liste UMP au dernier moment histoire de dire que le mouvement existait encore en Vaucluse (12,5 % des voix), demande à prendre la parole. Très poliment, Hébrard lui répond qu’il y a un temps pour cela. Plus véhément, Xavier Magnin, se lève : « Veuillez respecter le protocole et le nouveau maire, Madame ! »
10h41
On repasse au vote des adjoints. C’est long… On nous distribue de l’eau à la table de presse. Une consœur plaisante jaune : « Empoisonnée ? Un acte de malveillance est si vite arrivé… »
10h44
Il semble y avoir un problème dans l’urne. Le directeur général des services, Tai Nguyen Duc, s’y colle : il donne l’impression de devoir résoudre une équation à dix inconnus. Bardisa passe mettre son bulletin dans l’urne, il salue le maire d’un sourire crispé.
11h01
Les sept adjoints sont enfin élus. On leur remet aussi leur écharpe, tous très fiers. On donne finalement la parole à l’opposante UMP, devenue Les républicains. Petit monologue où « elle remercie ses électeurs », « souhaite que les élus se remettent au travail pour une opposition constructive car l’ampleur de la tâche est grande ». Magnin arbore un petit sourire en coin jubilatoire. On demande si Bardisa veut s’exprimer aussi : « Non ». Merci, bonsoir.
11h07
Avant de clore la séance, le maire y va de son petit discours. Il évoque le « lourd héritage du passé », promet de régler « les problèmes qui ne manqueront pas de se poser », de « travailler dans la plus grande transparence, au service de l’intérêt commun ». « Vive le Pontet, vive la France ! » Marseillaise. Une petite voix entonne Le chant des partisans… Les hostilités ne font que commencer.
Clément Chassot