Vélo : la région dans le gruppetto
Pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour apprécier le retard accumulé par la région pour la pratique urbaine du vélo. Un petit tour sur le site de Carfree (1), qui milite pour une « vie sans voiture(s) », permet de saisir le vide que présente Marseille ou Toulon en matière de pistes cyclables, comparé à d’autres villes, européennes bien sûr (Copenhague, Amsterdam), mais aussi françaises, comme Strasbourg ou Lyon.
Serait-ce une question de mentalité : les Sudistes, des flemmards « addictautomobiles » ? Non, répond Olivier Razemon, journaliste au Monde, spécialiste des transports (2) : « Il n’y a pas d’un côté le grand blond du Nord de l’Europe qui mange du muesli le matin pour pédaler toute la journée, et le petit brun méditerranéen adepte des pâtisseries grasses dans sa voiture. C’est avant tout une question de volonté politique. Par exemple, à la frontière basque, il existe beaucoup plus d’aménagements du côté espagnol que français. »
Obligés de soutenir le développement des modes de déplacements doux imposés par les Plans de Déplacements Urbains (PDU) (3) ou les multiples plans climat pour améliorer la qualité de l’air, les élus en campagne sont tous d’accord sur la nécessité de faire de la place pour le vélo en ville (voir page 16). Mais, par expérience, les actes ont du mal à suivre. Marseille, lauréate du « clou rouillé » en 2013, décerné par la Fédération française des Usagers de la Bicyclette, la FUB (Toulon a été « primé » en 2009), et deuxième ville la plus embouteillée d’Europe, en est un bel exemple. Y circuler à vélo relève encore du parcours du combattant. Pourtant, le précédent PDU, qui date de 2006, promettait déjà de « créer un climat favorable à l’usage du vélo (sic) ».
Paroles, paroles…
Las, les multiples recours judiciaires du collectif Vélos en ville, notamment sur des aménagements cyclables non réalisés lors de travaux sur de nouvelles voiries et légalement obligatoires, témoignent du chemin non parcouru. « Les élus ont une énorme propension à s’exprimer sur un sujet qu’ils ne connaissent pas, commente Cyril Pimentel, coordinateur de Vélos en ville. Ils ont aussi tendance à se laisser gagner par la pression des riverains et ne veulent pas faire de vagues. Il y a toujours un tas de bonnes raisons pour ne pas passer aux actes. »
Le dernier PDU, voté par Marseille Provence Métropole (MPM) l’année dernière, est également très ambitieux. Il se donne comme objectif « d’engager une véritable vélorution (re-sic) », de multiplier par cinq les déplacements à vélos et de construire 10 kilomètres de pistes cyclables par an. Mais comment ce qui a pêché par le passé pourrait marcher à l’avenir ? MPM fait volontiers son mea culpa : « Il y a un constat de dysfonctionnement de l’institution sur le développement des modes doux », consent Stéphane Marcie, directeur de l’environnement et de l’écologie urbaine. L’affectation des sommes dédiées au vélo dans le budget global de la voirie rend l’évaluation des objectifs difficile. « Mais les outils sont en train de se mettre en place, nous pourrons bientôt mieux flécher les budgets et vraiment consacrer l’argent prévu au développement du vélo », assure-t-il.
L’agglomération cherche aussi à mettre en avant le schéma directeur des modes doux, casé dans une annexe du PDU. Mais il reste très imprécis sur les tracés et les priorités. Autre mesure, l’aide à l’achat d’un vélo électrique à hauteur de 400 euros. En collaboration avec Vélos en ville, une « Openstreetmap » (4) recensant les axes cyclables est en préparation avec l’ambition de faire participer les Marseillais en partageant leurs doléances ou signalant des anomalies. Une bonne volonté reconnue par Geneviève Laferrere, présidente de la FUB, qui distingue « un frémissement dans le sud-est de la France et à Marseille. J’espère que cette séquence électorale fera bouger les choses, nous serons vigilants. »
A Avignon, l’une des « moins pires » élève de la région mais qui ne dispose pas encore de PDU, la question des transports est au cœur de la campagne à travers l’opposition entre gauche et droite sur le tramway (voir le Ravi n°111). Et chacun veut réduire la place de la bagnole pour en donner au vélo. L’UMP assure que la construction du tram englobera l’aménagement de pistes cyclables sécurisées « à chaque fois que cela sera possible ». A gauche, Jean-Pierre Cervantès, porte-parole local des Verts – qui ont rejoint la liste de la socialiste Cécile Helle – pose les priorités : « Il faudra d’abord sécuriser le réseau, combler les discontinuités, et développer le Vélopop (en libre-service, Ndlr) dans les quartiers et les autres villes de l’agglomération. » Autre proposition, créer une maison du vélo qui pourra prêter des vélos moyennant caution. Le développement des parkings-relais en périphérie est, quant à lui, au programme des deux formations politiques.
La tête dans le guidon
Geneviève Laferrere constate aussi le peu d’engouement pour le vélo en Paca, par le faible nombre de collectifs implantés. Mais ils sont parfois les plus virulents, comme la Masse critique à Toulon, où l’annulation du projet du tramway et le retard du second tube du tunnel qui traverse la ville ont mis des bâtons dans les roues du vélo. Les membres du collectif n’hésitent pas à peindre la nuit de fausses bandes cyclables ou convier des élus à des inaugurations d’aménagements tout aussi factices. « Nous avons cherché à faire un maximum de bruit pour faire pression sur la mairie et cela a marché même s’il reste beaucoup à faire, notamment sur d’autres villes de l’agglomération comme La Valette, ou rien n’est prévu pour le vélo. Seule la mobilisation peut faire avancer les choses », signale Cédric Lambert, un des membres du collectif. Consultés par différents candidats aux municipales, ils s’interrogent de savoir pourquoi ils ne l’ont pas été pendant six ans…
« Les politiques du sud-est associent encore le vélo à un sport ou un loisir et non à un moyen de locomotion, note Geneviève Laferrere. Il peut pourtant jouer un rôle économiquement important. Les déplacements en voiture, cela coûte cher, surtout à l’arrêt dans les bouchons ! » Pour le journaliste Olivier Razemon, les politiques auraient aussi tout intérêt à mettre le paquet en temps de crise : « les aménagements cyclables ne coûtent pas chers par rapport à un tramway qui peut coûter 30 millions d’euros par kilomètre. Et rattraper un retard peut aller très vite. On croit que cela tient à la physique, à l’aménagement urbain, mais c’est finalement plus une question de chimie : plus il y a de vélos, plus cela devient un réflexe et plus cela donne envie aux gens de s’y mettre. » Y’a plus qu’à !
Clément Chassot
Article publié dans le Ravi n°115, en février 2014. Avant les élections municipales…