Vaucluse : la guerre des fachos
Jour de marché ensoleillé dans la cité des Princes. A un mois des élections départementales, le démarchage électoral a démarré à Orange (cet article a été rédigé en février 2015 et publié début mars dans le Ravi n°127). Nous sommes sur les terres de Jacques Bompard, conseiller général élu maire Front national en 1995 avant d’en être exclu, député depuis 2012. Sa femme, Marie-Claude, est maire de Bollène et conseillère générale non loin de là. Mais cette année, Jacques Bompard ne se représente pas : il laisse sa place à l’un de ses fils, Yann Bompard, avec l’étiquette de la Ligue du Sud, le micro parti familial. Son autre fils, Guillaume, a lui pris du galon à la mairie. Un népotisme qui passe mal et qui a conduit à des défections vers le FN de plusieurs des proches du notable du Haut Vaucluse (Voir le Ravi n°121). Bref, la PME Bompard marche à plein. Mais un grain de sable freine aujourd’hui cet engrenage : le Front national et Marion Maréchal (nous voilà) – Le Pen, l’autre députée d’extrême droite du département.
Dynastie
Les deux, qui se connaissent bien, se livrent une bataille depuis les élections sénatoriales. Ils n’ont pas réussi à trouver un accord, Jacques Bompard voulant placer sa femme, ce que Le Pen n’a pas accepté. Résultat : deux listes et aucun sénateur élu. Le FN a ainsi décidé de présenter des candidats dans tous les cantons, rompant avec l’accord tacite de non-agression qui prévalait jusqu’à présent. « Les candidats de la Ligue du Sud seront balayés dès le premier tour », claironnait en octobre dernier la benjamine de l’Assemblée nationale. Cela semble compliqué sur le canton d’Orange, tant le patronyme Bompard est implanté. Reste que « ça va chauffer », croit savoir Jean-François Matteï, l’un des deux candidats du Front, en plein tractage. Des noms d’oiseaux ont volé sur un autre marché du canton venant, selon le Front, de Guillaume Bompard. « Ils n’acceptent pas la concurrence, ils pensent être maîtres de ce territoire, explique le candidat frontiste de 67 ans, Avignonnais mais commerçant à Orange. Mais on n’est plus dans la féodalité. Ils nous accusent d’être parachutés mais on fait campagne pour le département ! » Affable, cheveux grisonnants et large sourire, il se décrit comme un déçu de l’UMP.
L’un de ses suppléants, Gilles Vivien, est un ancien de la galaxie Bompard, adjoint au maire pendant de nombreuses années. « Nous ne sommes pas les bienvenus, c’est clair, nous avons eu du mal à trouver un local », explique le suppléant. A peine à 50 mètres de là, Yann Bompard, accompagné de son frère et de quelques autres fidèles, est lui aussi en campagne, en terrain conquis. « Nous avons été très proches du Front. Désormais, nous sommes sur une autre ligne, qui ressemble plus à celle du FN des années 70, 80. Ce n’est plus un parti anti-islam aujourd’hui… » Son père a récemment déclaré à Minute que « le FN est devenu la même saloperie que les autres partis ». La trentaine et déjà chauve, petites lunettes, Yann Bompard vit son baptême du feu électoral. Il récuse le terme de « PME Bompard » : « On ne peut pas faire de cession de part sociale. Non, il faut passer par l’élection. Nos concitoyens nous connaissent, nous font confiance. La différence avec le FN c’est le travail. »
Vraie fausse bataille
Les deux camps restent en réalité très proches idéologiquement. « A priori, il n’y a aucune raison de faire la guerre. Mais pour faire la paix il faut être deux », commente Philippe de Beauregard, maire de Camaret-sur-Aigues à l’époque soutenu par Marion Maréchal Le Pen et Jacques Bompard, avec lequel il a pris ses distances. Aujourd’hui candidat pour le Front sur le canton de Vaison-la-Romaine, il assure avoir « gardé des contacts courtois » avec les Bompard et se dit toujours favorable à des alliances. Ce qui ne l’empêche pas de tacler son mentor : « Je pense qu’il se fait beaucoup d’illusions sur l’influence de la Ligue du Sud. Il va tomber de haut. » Un autre cadre local du Front, Thibault de la Tocnaye, assure que « les gens en ont marre de son caractère difficile ». Xavier Magnin, transfuge de la Ligue du Sud, directeur de cabinet du maire d’Orange pendant 15 ans, maintenant en poste auprès du maire FN du Pontet, Joris Hébrard, fidèle à lui-même n’y va pas par quatre chemins : « La Ligue du Sud, c’est peanuts, c’est un épiphénomène. Il y a toujours des baronnies mais le vent est au FN aujourd’hui. Cette élection est cruciale : elle préfigure 2017. »
Cette guerre des extrêmes droites pourrait prendre fin au soir du premier tour ! (NDLR : de fait le FN a retiré son candidat dans le canton de Bollène, arrivé 3eme, pour favoriser l’élection de Marie-Claude Bompard face à la gauche. Par contre, dans le canton d’Orange le second tour opposera le FN, arrivé en tête, et la Ligue du Sud, arrivée en second qui a refusé de se retirer). Au moment de désigner le président du Conseil général, les veilles rancœurs risquent d’être vite oubliées si les frères ennemis sont en mesure de prendre le pouvoir. Il faudra pour cela rafler neuf cantons. Malheureusement à leur portée. Mais Marine Le Pen l’a annoncé, il pourrait y avoir des alliances avec l’UMP, en disgrâce en Vaucluse, ou du moins avec certains de leurs représentants. Des opportunistes prêts à vendre leur âme pourraient jouer dans ce registre et faire des cas d’école. Le but final du Front : prendre la main à droite et obliger l’UMP à s’allier pour survivre. Le Vaucluse est bel et bien le laboratoire du FN…
Clément Chassot