« Va te faire doucher ! »
18h26
La nuit tombe sur la mairie de La Ciotat, à deux pas du Vieux-Port de cette cité balnéaire et théâtre, en 1895, du premier film. Mais peu avant les fêtes de Noël, un tout autre scénario, à la Francis Ford Coppola, a été à l’affiche : la vitrine de la mairie s’est faite mitrailler ! Pendant un conseil municipal, c’est d’abord la femme de Patrick Boré qui reçoit à son domicile des menaces de mort par deux individus casqués : le maire (LR) est vivement encouragé à « prendre les mesures nécessaires pour cesser de leur enlever le pain de la bouche ». Quelques jours plus tard, son adjoint à « l’environnement », Noël Collura, est à son tour visé : son domicile est criblé de balles. Patrick Boré, après avoir déposé plainte, assure bien sûr ignorer « savoir ce à quoi ces deux lâches font allusion ». Mais personne n’évoquera, aujourd’hui, le sujet ni les suites de l’enquête !
18h27
Alors que la salle se remplit, deux sympathiques collègues de La Provence me briefent sur l’actualité municipale. En attendant, Hervé Itrac, transfuge de l’UMP désormais chef de file du FN, cheveux et costard brun, petites lunettes et cravate violette, nous salue. Puis, c’est au tour du maire de se présenter, lui aussi en costard sombre et lunettes. Mais la cravate est bleue et les cheveux, bien délimités par une raie centrale, sont gris. Il s’inquiète de ne pas voir le journaliste de La Marseillaise…
18h36
Patrick Boré procède à l’appel. Quelques élus sont absents. Hervé Itrac se lève et demande à voir les procurations pour contrôler leur légalité. On s’agite derrière le maire, début de clash. « Vous les aurez, on est en train de les vérifier. » Un poil capricieux, Itrac les veut « maintenant, c’est la démocratie ». « C’est infernal, asseyez-vous, on vous les donnera, grogne Patrick Boré. Ce n’est pas vous qui allez me donner des leçons de démocratie. » Sans jamais obtenir ces fameuses procurations, Hervé Itrac reviendra plusieurs fois à la charge, ce qui a le mérite de bien emmerder le premier édile.
18h40 L’essentiel de ce conseil municipal est dédié au budget 2016, présenté par l’adjointe aux finances Arlette Salvo, blonde aux cheveux courts qui arbore ce soir chandail et foulard bleu. Qu’on se rassure, malgré la baisse de dotations de l’Etat, tout va pour le mieux. Un beau powerpoint nous explique que les dépenses d’investissement sont en hausse alors que la dette se réduit. Le speech dure près de 30 minutes.
18h46
Le seul élu de gauche, le capitaine Saïd Zenafi, fait son entrée. Il ne mouftera pas de la soirée. Le maire, lui, s’est mis en retrait et bavarde doucement avec son staff pendant le monologue de son adjointe. On discute aussi du côté des élus FN entre Hervé Itrac donc, Yann Farina, l’ex-leader maintenant étiqueté Ligue du Sud (voir encadré) à la superbe chemise rose – qui semble quotidiennement abuser du gel pour les cheveux – et Magali Viglione, une blonde à l’air sévère. La dernière élue, Dominique Barbieri, est plongée dans un dossier qui a l’air foutrement compliqué.
19h00
Madame Salvo commence à s’embrouiller dans ses propres chiffres. Une élue de la majorité, au look bien BCBG, lâche son smartphone pour sortir une affiche A4 du grand Jean-Claude Gaudin, qu’elle s’empresse d’exhiber à son voisin. Mon Dieu qu’il est beau !
19h05
« S’il vous plaît messieurs, vous me disturbez », lance Arlette Salvo à son maire. Il attend maintenant les mains sur la bouche.
19h09
« Je peux continuer ? », reprend le maire avec une once d’ironie. Magali Viglione (FN) intervient : « D’abord merci à madame Salvo pour cet exposé qui n’était pas facile à faire. Mais… » Elle dénonce des taux d’imposition et une dette encore trop élevés. Réponse du maire : « Vous nous faites toujours les mêmes observations. Les impôts sont supérieurs à ceux d’autres villes de la même strate mais les services offerts sont beaucoup plus avantageux. La ville a une histoire, elle a souffert. Nous l’avons reprise en 2001, la dette est en baisse alors que nous continuons d’investir, notamment pour favoriser la création d’emplois. »
19h14
Yann Farina, qui lève la main depuis trois minutes, continue sur le ton de la bonne vieille rengaine nationaliste : « J’aimerais m’occuper des Ciotadiens. Or, vous leur tapez dessus : les impôts, les prix de la piscine et de la médiathèque qui augmentent… Vous investissez sur des champs qui ne les concernent pas et c’est le péage que vous enrichissez. » Avec cette saillie glaçante : « Vous n’êtes pas ciotadien de naissance ou de souche. » Le maire reprend, sourire en coin : « Oui, on écrira bientôt les nouvelles pages de Zola pour La Ciotat. Vous avez un discours étriqué sur les frontières. Puis prenez par exemple la Chaudronnerie (une salle de spectacles, Ndlr) qui est passée de 250 à 500 places, elle servira aux Ciotadiens. Mais c’est vrai que la culture, c’est pas votre truc… »
19h22
Le budget primitif 2016 est voté. Notre BCBG recommence à tapoter son téléphone intelligent. S’ensuit le vote de cinq autres délibérations pendant que le maire mâchouille délibérément un chewing-gum.
19h37
Hervé Itrac revient à la charge sur les procurations. Soupirs de l’assistance. « Ça ne s’arrêtera pas ! Soit vous faites un recours soit vous arrêtez, ça suffit à la fin », fulmine Boré. Itrac finit par asséner en allusion à la série de menaces : « On vous voit de moins en moins… Vous avez pris le maquis depuis décembre ? »
19h39
Et c’est là que le fameux adjoint à l’environnement, Noël Collura, intervient en pull-over rouge et accent pagnolesque : « Va te faire doucher ! Tu te gares dans la mairie pour aller au travail, c’est une honte ! » Le maire interrompt : « Ce n’est pas une insulte de prendre le maquis, surtout venant de vous ! »
19h43
Vient LA délib’ de la soirée, celle qui concerne l’augmentation des frais de représentation du maire à 13 000 euros, qui n’est pas la somme maximale autorisée par la loi. En janvier, Hervé Itrac avait publié sur son blog (un article effacé depuis) le détail des facturettes du maire et ses lieux de sauterie au nom de la « transparence ». « Je ne suis pas opposé par principe à ces 13 000 euros mais nous avons le droit de savoir ce que vous en faites », sermonne le frontiste. « Vous avez balancé l’adresse des endroits où je vais manger alors que je suis menacé, s’indigne le maire. Chacun fait de la politique à son niveau. Si je fais une coloscopie, il faut que je vous communique les résultats ? »
19h57
Une série de délibérations passe : RH, foncier, associations, augmentation du nombre de caméras de vidéosurveillance, sport et culture… A 20h41, Noël Collura présente la délibération n°35. Mais il commence, grand sourire auto-satisfait, en s’adressant à Magali Viglione : « Laissez-moi vous dire que votre nouvelle coupe de cheveux vous va très bien, vous faites moins sévère. » La classe internationale.
20h53
Après une passe d’armes sur du ménage qui serait mal fait en mairie – « Je ne vais pas aller passer le doigt sur le frigo », commente le maire – c’est la fin : « Bonne soirée ! »
Clément Chassot