Quand les voyages forment la jeunesse...
Nichée au cœur de Sainte-Marthe (14ème) dans les quartiers nord de Marseille, Une Terre culturelle (UTC) a élu domicile depuis l’an dernier dans une immense bastide de 310 m2. L’association l’a achetée à crédit sur quinze ans pour en faire, à terme, « la maison de l’interculturel et du volontariat » qui manque cruellement à la ville. C’est Orient, le chien de la demeure qui nous accueille. « On travaille sur la mobilité, mais la première difficulté est de venir jusqu’à nous », sourit Julie Méziane, en charge de la communication.
S’installer dans le 14ème arrondissement est pourtant un choix, celui notamment d’en faire un lieu ouvert sur le quartier. Au rez-de chaussée, une affiche de l’Ofaj (Office franco-allemand pour la jeunesse) – dont l’association est l’une des centrales en France – propose de troquer « la Côte d’azur contre la mer Baltique » ou encore « son croissant contre un bretzel ». L’objectif d’UTC est de permettre aux jeunes européens et des pays de la Méditerranée de venir jusqu’à nous et aux jeunes de Paca, notamment des quartiers nord, d’aller jusqu’à eux. Et ce, en travaillant de façon bi, tri ou quadri nationale sur des projets communs aussi variés que l’agriculture, les questions de genre, le sport, la réconciliation entre deux pays, etc.
Une histoire de rencontres
« L’histoire d’UTC, c’est avant tout celle de rencontres », explique Rafik Mousli, directeur et fondateur de l’association. Officiellement née il y a 18 ans, l’aventure a réellement commencé en 1992, au cœur d’un autre quartier populaire de Marseille, celui de Félix Pyat, dans le 3ème arrondissement, l’un des plus pauvres de France. A l’époque, étudiant en aéronautique venu d’Algérie, il intervient au centre social de St Mauront-Bellevue comme bénévole. Le premier échange se fait avec des Portugais. En 2002, Rafik Mousli créait Une Terre culturelle, jeu de mots avec interculturel.
A l’époque, emmener les jeunes à l’étranger se réduisait, selon lui, à faire « du séjour de consommation. Et c’est en rencontrant l’Ofaj que l’on a compris qu’il existait des méthodes pour aller plus loin dans la démarche, plus haut aussi en dépassant la barrière linguistique et culturelle ». L’association a poursuivi son chemin en mettant en place des échanges de jeunes via des séminaires, en accueillant des services civiques et des volontaires, en formant aussi à l’animation interculturelle. Et peu à peu, en faisant passer les jeunes d’une mobilité collective à une mobilité individuelle « pour sortir de sa bulle culturelle, ouvrir son champ de connaissances et s’ouvrir au monde ». Notamment grâce au projet Imajina qui permet à des jeunes des quartiers de partir en stage professionnel en Allemagne pendant deux mois.
Depuis 2002, plus de 800 jeunes sont passés par UTC qui compte aujourd’hui 11 salariés. Mais malgré le boulot social qu’elle abat, l’association se désole du manque de reconnaissance institutionnelle localement alors que son travail est salué au niveau national et international. Pour preuve, au-dessus de la cheminée, encadré, trône fièrement le prix De Gaulle-Adenauer remporté en 2019 pour son action consolidant les relations franco-allemandes. « Une agréable surprise, confie Rafik Mousli, d’autant plus que l’on n’avait rien demandé. »
Vivre ensemble
Il est 10h30, salariés et volontaires s’affairent à leurs tâches. Janina Chetty, depuis quelques jours directrice adjointe, prépare un panneau qu’elle espère pérenne, afin d’expliquer à chacun comment remplir les dossiers. Issue d’un petit village près de Munster, en Allemagne, ainsi que beaucoup de salariés, elle est arrivée ici comme volontaire. Qusay, 24 ans, est originaire de Bethléem en Palestine. Étudiant en agronomie, il participe à un échange entre l’ONG UAWC (Union of agricultural work committees), qui défend les agriculteurs palestiniens en territoire occupé, et UTC. Pourtant, il ne parle que l’anglais. Mais Julie Méziane d’expliquer que la langue n’est pas un frein à la mobilité : peu importe le pays, il y a toujours un interprète pour traduire !
Qusay participe au projet tri-national (France-Allemagne-Palestine) « De la terre à la table », qu’il a coécrit, et essaie de créer des partenariats avec des agriculteurs de la région autour de pratiques et d’échanges de graines non traitées. « Tout est compliqué pour les agriculteurs en Palestine, l’eau, les exportations comme les importations sont sous contrôle », souligne le jeune homme. Bien souvent les agriculteurs israéliens viennent vendre leurs produits à bas prix et ainsi casser le marché des Palestiniens. Ces derniers sont quant à eux obligés de mettre leurs terres en culture sinon elles risquent d’être récupérées par les Israéliens.
Hassan, 24 ans lui aussi, est originaire d’Agadir au Maroc. Il est à UTC depuis plus d’un an. En service civique, il gère la maison où il vit avec les autres volontaires au second étage. Il s’occupe aussi des échanges internationaux, de la formation d’animation interculturelle et fait un peu de comptabilité, sa formation de base. « Partir à l’étranger a toujours été une motivation. J’avais envie de découvrir un autre continent. Je n’étais jamais parti avant », raconte-t-il. Il a choisi le service civique, pour le partage d’expériences mais aussi pour le soutien financier et logistique que le dispositif permet. « Ça m’ouvre aussi beaucoup de perspectives ! Comme pourquoi pas faire des études dans la gestion des associations interculturelles… », poursuit-il.
Au premier étage, dans le bureau de Julie Méziane, sur le mur un immense planning très coloré et rempli des projets de l’année. Avec comme point d’orgue, en novembre, le projet Mer (Mobilité, échange, réciprocité) qui regroupe différents pays pour tisser ensemble un réseau euro-méditerranéen de la mobilité. Eliott participe au projet « Sport sans frontières » et part en Allemagne en avril prochain. A UTC depuis deux mois, il fait tous les jours le trajet depuis Pertuis (84). A 19 ans, un bac pro photo en poche, il a galéré pendant six mois à chercher du travail, avant de se tourner vers un service civique, pour acquérir de nouvelles compétences comme la vidéo. « J’espère mieux me préparer à demain, confie-t-il. Ça me force aussi à être plus sociable avec les autres. » Face à lui, Ichrak, 25 ans, originaire de Jendouba, en Tunisie, à la frontière algérienne. Diplômée en master de biologie, elle était activiste sur les questions d’environnement dans son pays. Elle a ensuite fait une formation en développement web. « Je me suis dit que c’était le bon moment pour partir de Tunisie. J’avais envie de travailler dans une association à l’international », raconte la jeune femme pour qui c’est une première expérience à l’étranger. « Et en colocation mixte », rigole-t-elle.
La mobilité signifie beaucoup plus que le voyage pour ces jeunes comme pour ceux des quartiers populaires. Souvent il s’agit d’une première découverte de l’étranger qui, en quelques jours, ne l’est plus vraiment. « A Marseille, on a le multiculturel mais il reste superficiel, constate Rafik Mousli. On partage des couscous et des paellas, mais on ne partage pas les pensées profondes de nos cultures. C’est ça pourtant l’interculturalité et c’est ce que l’on met, chez UTC, derrière cette mobilité. »