Une saison en Action Française

C’est dans un petit trou de bitume, 14 rue Navarin à Marseille, que je rencontre l’Action Française (AF). Ici, pas de rivière qui chante mais une rumeur, celle d’un vieux monde qu’on croyait mort depuis longtemps. Ce soir de mai, je découvre le local. Le bar et ses nombreux autocollants donnent le ton. Sur l’un d’entre eux, période Manif pour tous, une photo : Caroline Fourest, militante pour les droits homosexuels, saisie dans la foule. Un texte : « Ne détruis pas ce que tu n’auras jamais : une famille. » Ici, on a de l’humour mais ça ne rigole pas. Ici, on se salue en se prenant les avant-bras. Une fraternité virile à l’image du nom de leur groupe Facebook : Bienvenue sur Mars, clin d’œil au dieu romain de la guerre.
UNE SECTION JEUNE ET ACTIVE
Désormais, je suis Arthur, sympathisant issu de la droite identitaire, dont les parents viennent de s’installer à Marseille. C’est lors de conférences au local que je me familiarise avec les membres. J’y rencontre Bizu, Haddock, La Teub, Parfait, Ficelle, Francis, Guignol, Hanoï. Des surnoms qu’ils se donnent alors qu’ils ont pour consigne de nier à l’extérieur leur appartenance au mouvement. Au premier abord, ce sont des réunions entre copains. L’ambiance est chaleureuse et les blagues faciles.Dialogue :- « Sers-moi un verre d’eau stp » – « Blasphème ! » rétorque un militant.
C’est sûrement un ingrédient de la recette permettant de capter un public jeune : une franche camaraderie qui ne fait pas immédiatement valoir la violence des convictions. Rapidement, je deviens un visage familier et exprime mon désir de prendre part à des actions militantes. J’intègre l’activisme à la fleur de lys. Chaque semaine est ponctuée d’un SMS annonçant le programme : boxe, conférences, actions militantes, repas… Des formations diverses sont souvent proposées (photoshop, montage vidéo) afin de développer des commissions (presse, création…).
S’agit-il de nobles déchus affichant leur haine de la société en bandoulière ? Même pas ! Les quelques « sang bleu » restent très minoritaires. Le groupe marseillais, hétéroclite, rassemble des lycéens, des étudiants, des jeunes en prépa, des militaires, mais aussi des ouvriers et même une étudiante en kinésithérapie. Créée seulement en 2010, la section revendique un noyau dur de 40 individus sur Marseille parmi près de 200 militants et sympathisants en Paca. Ils sont convaincus que la royauté est le meilleur système qui puisse convenir à la France face à la division du peuple. « Il permettra de retrouver une identité à la Nation et une autorité qu’on a oubliée », martèle Bizu, chef de section, ouvrier de profession.
Ils ont en commun l’anti-républicanisme, l’amour d’une France passée, le rejet de l’immigration et de l’Union européenne… La Manif pour tous a été un véritable « déclic » pour beaucoup. Il y a aussi un groupe de « doyens » de plus de 60 ans mais très peu de quadragénaires ou de quinquagénaires, les « générations fourvoyées », selon l’expression de Guy Bertrand, président de l’AF-Provence. Traduisez : les héritiers de mai 68. Beaucoup ont flirté avec l’extrême droite sous toutes ses formes. Un des fondateurs, Jérémie Ferrer-un proche du sénateur-maire FN de Marseille, Stéphane Ravier- a été skinhead avant de participer à la création des Jeunesses identitaires Marseille…
Le samedi 17 juin je retrouve les militants dans un bar du 6ème pour préparer un banquet de fin d’année. J’y rencontre ceux qui gravitent autour de l’AF. Notamment un « NS » (National socialiste) dont le corps est recouvert de tatouages sur le IIIème Reich. Surprenant ? « Les aléas de toute mouvance nationaliste » explique Bizu, gêné. Francis, jeune employé dans une banque, esquive : « Évidemment, on n’est pas sur la même ligne mais on s’apprécie humainement. » La tolérance version AF ! Un des rares quadras se présente comme « royaliste avec une dose de fascisme ». Une dose ? Mi-moqueur, mi-sérieux : « Nous, on ne parle pas de camps de concentration, mais de rééducation. » Habile ! Nous nous rendons ensuite chez Bizu. Sur les murs, quelques cadres à la gloire du pastis se disputent la place avec des portraits de la vierge Marie, de Jeanne d’Arc, Mussolini ou de… Pétain ! Une sentence est également affichée : « L’OAS, c’est l’espoir de la jeunesse de France. » La bibliothèque, sans surprise, déborde d’ouvrages de Charles Maurras.
VIVE LE MARÉCHAL ! VIVE LE ROY !
Ce soir-là dans une bastide en ruine à Septème-les-Vallons, au nord de Marseille, la petite troupe se lâche. Ponctué par des rites, le repas débute avec la traditionnelle chanson La Royale, rêvant le retour du Roi. S’ensuivent de nombreux chants que tous les militants connaissent pour les avoir scandés lors de camps estivaux dans la Loire. Des chansons contre-révolutionnaires comme La Ligue Noire, militaires avec Les chacals, précèdent La France bouge ouvertement antisémite : « Ô France,[…] / Te voilà donc aux mains / Du Juif immonde / Coureur de grands chemins ». Fin du repas, et les « doyens » se lèvent. Résonne alors un Maréchal Nous Voilà que tout le monde s’empresse de suivre… avec le salut fasciste. Pas si surprenant ! L’AF-Provence avait défilé avec Casapound Parma, un groupe néofasciste italien, le 3 décembre 2016, rue Saint-Férréol dans le centre de Marseille. Un de leurs membres est d’ailleurs présent à Septèmes. J’y rencontre aussi Anthony Mura, alias Rachid, qui doit assurer la sécurité de l’AF cette rentrée. « Un service d’ordre renforcé où ses membres recevront une formation spécifique une fois par mois. Ça ne sera plus de la rigolade ! », soutient le militant, déjà pris en photo avec Stéphane Ravier, et avec Alain Soral arborant une « quenelle »…
Le local de l’AF borde le Cours Julien et La Plaine, épicentre du Marseille alternatif et libertaire, sur les terres des antifa en tout genre. Une proximité propice à la confrontation. Dans la nuit du 29 juillet, un engin explosif retentit devant les locaux des royalistes. En octobre 2016, une de leur réunion avait déjà été perturbée par une contre-manifestation des antifa. Alors pourquoi cette implantation ? « Parce qu’on les emmerde, Marseille n’est pas à eux », m’explique Parfait, étudiant en droit. La section ne recherche pas activement la violence mais l’accueille avec plaisir. Les soirs consacrés à la boxe consistent à « être prêt pour les gauchos. On n’attend que ça, qu’ils nous tombent dessus » continue Parfait en souriant. Lors d’une soirée de collage, Bizu sait que les affiches seront vite arrachées. « Mais il y a cette petite adrénaline de croiser les « antifa ». Un balai pour coller sert aussi à frapper. »
Faute de troupes suffisantes pour recourir à des actions ouvertement violentes, la section marseillaise de l’AF préfère se mettre en scène comme victime face à des antifa plus nombreux et vindicatifs. De fait, leurs interventions sont pour l’instant essentiellement symboliques. Cet été, les militants ont recouvert les marches du Cours Julien, jusqu’alors aux couleurs arc-en-ciel de la Gay Pride, par celles bleu et jaune des royalistes. L’AF n’est encore qu’une rumeur, celle du crépuscule des rois. Mais rien n’exclut qu’elle prenne de l’ampleur et devienne tonnerre…
Cette enquête a été publiée dans le Ravi n°154, daté septembre 2017