Une éthique des conséquences
La psychanalyse, avec Freud qui l’inventa puis avec Lacan qui la réinventa, touche au plus intime de chacun. Lorsqu’un sujet s’y engage, il lui faut renoncer à la fiction que ce plus intime, il le connaît déjà. Non, il ignore ce qui l’agite, même s’il subit ses effets comme « ce qui ne va pas ». Ainsi sont les symptômes qui touchent son corps ou sa pensée, ses répétitions qui l’obligent à toujours se livrer aux mêmes dieux obscurs. Tout au plus, avoue-t-il : « c’est plus fort que moi. »
Le plus intime s’articule mal au pronom possessif : « mon plus intime. » La propriété est vaine, la maîtrise, itou. Ce qui est le plus intime me prend, bouleverse mon corps vivant et ma pensée. On dit souvent : « j’ai une migraine. » La psychanalyse préfère dire que c’est « la migraine qui m’a ». Et si elle m’a, c’est que moi est une fiction qui ne tient plus. Le moindre symptôme me divise… En touchant au plus intime, la psychanalyse détruit l’intériorité et promeut que la « cause est ce qui cloche », comme dit Lacan. L’inconscient est le nom de ce plus intime : c’est le non né, l’évasif.
Mais Lacan a pu aussi dire, en 1967, que « l’inconscient, c’est la politique ». Comment l’entendre ? Par un biais précis (mais non exhaustif) : l’inconscient implique des conséquences. Quelles conséquences est-ce que je tire de ce que je découvre du plus intime – de ma haine, par exemple ? Est-ce que je m’y vautre ? Ou est-ce que je m’en décolle pour enfin vivre ?
La question est d’autant plus vive qu’un parti populiste à visée fasciste, le Front national, est aux portes historiques du pouvoir. Mon ami Christiane Alberti, dans la Matinale du Monde du 19 mars, écrit : « C’est un contresens que de penser qu’une psychanalyse conduit à suivre son inconscient. Une psychanalyse conduit à mettre au jour son inconscient précisément pour désactiver tout ce qui nuit au sujet dans sa vie personnelle et dans sa vie sociale, les tendances les plus sombres, les plus délétères, que l’on découvre en soi comme plus fortes que soi. Curer en lui ces penchants obscurs peut permettre au sujet de s’inscrire dans un lien social authentiquement civilisé. Bref, la psychanalyse, c’est l’exact envers du discours du Front national. » Je partage cette position qui a un nom : l’éthique des conséquences. Faire obstacle à Marine Le Pen est, ces jours-ci, l’une des conséquences les plus justes contre la pulsion de mort.
Hervé Castanet
Hervé Castanet, universitaire et psychanalyste à Marseille, a co-organisé avec l’Ecole de la Cause freudienne et du Forum des psys, une Série de Conversations anti-Le Pen (Scalp) dans toute la France. Un premier « forum anti-haine » s’est notamment déroulé le samedi 8 avril à Marseille au théâtre Toursky avec la participation du mensuel le Ravi. Un deuxième rendez-vous a lieu mercredi 3 mai 2017, toujours au Toursky à Marseille à 18h30.