Un pilote dans un SIEL Bleu marine
Il n’y a pas que chez les Républicains que c’est le Bronx. Au FN aussi, après les élections, le départ de Florian Philippot, l’exclusion de Jean-Marie Le Pen et le congrès, c’est le chantier. Y compris dans les Bouches-du-Rhône. A la tête de la fédération du « 13 », le sénateur marseillais Stéphane Ravier a cédé la place au martégal Emmanuel Fouquart. Secondé toutefois par Éléonore Bez, une proche de Ravier parfois surnommée « l’œil de Moscou ». Ce que réfute l’élu régional Jean-François Luc : « Elle s’occupe de Marseille, lui du reste du département. » Le but étant pour Ravier de « se concentrer sur les municipales ».
Car, même si les militants d’extrême droite vont pouvoir parfaire leur formation lors de cette année sans élection, le responsable confesse : « La préparation des prochaines échéances ne s’arrête jamais. » Avec, en mise en bouche, au Front, un changement de nom ! Mais avec un FN qui se veut « Rassemblement national », on oscille entre oxymore et méthode Coué ! Quand on demande à notre frontiste comment appeler ses pairs – les « rassembleurs », les « rassemblistes »… – il reste prudent : « Le changement de nom est soumis au vote des militants et le résultat ne sera connu qu’en mai. »
Rassemblement des aigris
Mais, soupire-t-il, « on n’a pas d’autre choix que d’aller au-delà de notre électorat ». Autant dire qu’aux tribulations de sa collègue de Tarascon Valérie Laupies chez les Maurrassiens (Cf le Ravi n°162), il préfère l’appel d’Angers, cette main tendue de la droite extrême à l’extrême droite. De quoi faire tousser. Notamment au Siel (Souveraineté, identité et libertés), l’ancien satellite souverainiste du FN dont le patron, Karim Ouchikh, est venu, fin avril, faire un tour en Paca pour prôner « l’union des droites » !
« Une nécessité », dixit le responsable régional du Siel, l’ex-frontiste des quartiers sud marseillais Vincent Vidal, pour qui il n’y a qu’une « feuille de papier à cigarette » entre les différentes composantes. Mais, quand le FN s’autoproclame rassembleur, il s’étrangle : « C’est une hérésie ! Le FN est un parti qui se referme sur lui-même et qui refuse que la moindre tête dépasse. » Et garantit avoir « invité tout le monde » à la réunion marseillaise du Siel. Las ! Ceux qui ont répondu présent sont, comme on les désigne au Front, les « aigris du FN » : Laurent Comas (celui à qui Ravier a ravi la place), Michel Catanéo (celui qui a porté plainte contre le « dictateur nord-phocéen ») ou encore Yann Farina, de la « Ligue patriotique »…
Il en est un qui a eu droit à un traitement de faveur, c’est Jacques Clostermann. Lui a carrément rencontré à l’Estaque le patron du Siel. Les deux hommes se connaissent : ils ont participé en 2017 aux « assises de la France profonde ». Et Clostermann n’est pas n’importe qui. Fils de (son père, aviateur, est un héros de 2ème guerre mondiale), numéro 2 du Rassemblement Bleu Marine (le FN « light » de Gilbert Collard), patron de « Mon pays la France », il s’est distingué aux législatives en se présentant avec le soutien de Jean-Marie Le Pen face à un très proche de Marine Le Pen, Jean-Lin Lacapelle, parachuté du côté de Vitrolles. L’ancien frontiste vitrollais Marcel Yde s’en souvient encore : « J’ai tout de suite prévenu qu’il allait empêcher Lacapelle de se qualifier. Et quand j’ai vu ses bulletins, siglés "Le Pen", j’ai su que c’était fini pour le FN ! »
Des vieux et des vœux
Voir Clostermann revenir dans le jeu interpelle, certains ressortant les vieux dossiers. Comme cette plainte de 1995 qui n’a jamais abouti du temps où il roulait pour l’UDF et le RPR dans le sud-ouest. Même s’il garde une dent contre le FN et qu’il couvre de louanges les gens du Siel, Clostermann nous assure : « A 70 ans, je n’ai besoin de rien et je me détache de tout ça. C’est un peu vain et je n’en ai plus le goût. S’il faut donner un coup de main au maire de Marignane, Eric Le Dissès, pourquoi pas… Mais, pour me faire rempiler, il faudra y mettre le prix ! »
Derrière son air de ne pas y toucher, le pilote ferait presque figure d’aiguilleur du ciel de l’extrême droite des bords de l’étang de Berre. Son ex-suppléant, c’est le représentant local des Patriotes. Il a reçu le blanc-seing du « vieux » (Le Pen père). Et il a inauguré à Marseille la vraie-fausse ambassade du Donetz, au côté d’Hubert Fayard, ancien adjoint de Mégret à Vitrolles. Une ville où le jeu reste ouvert. Et où les batailles sont toujours singulières. En témoigne le recours du FN lors des cantonales à l’encontre d’une étrange liste « divers gauche » qui, au profit de la droite, a empêché une triangulaire qui aurait pu être favorable au Front. Si le recours a été rejeté, pour Marcel Yde : « Tant qu’on n’aura pas soldé ce qui s’est passé avec Mégret, il y a peu de chance que le FN ne l’emporte. »
Et, face aux appels au rassemblement, l’ex-frontiste philosophe : « Si Icare ne s’était pas cassé la gueule, on n’aurait jamais eu l’idée de construire des Airbus ! » Pas étonnant qu’au Siel, aux gars de la « Marine », on préfère les pilotes. C’est à se demander toutefois s’il y a un. En attendant, la petite-fille de Jean-Marie Le Pen, elle, non contente d’avoir lancé son école des cadres, vient, elle aussi, de changer de nom. Abandonnant celui de son grand-père. La voilà Maréchal. Tout simplement.
Sébastien Boistel
Enquête publiée dans le Ravi n°163, daté juin 2018