Un facho chez Castaner
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Jour de marché à Forcalquier. A l’entrée de la ville, quelques HLM. Au « Viou », on toque au dernier étage. Un jeune nous ouvre. On se présente comme journaliste. Il nous envoie paître. Et claque la porte encore abîmée par l’intervention du Raid. Flash back : le 17 octobre, dans le cadre d’un vaste coup de filet, les forces antiterroristes arrêtent Thomas Annequin, 19 ans. Il est mis en examen et placé en détention provisoire, dans le sillage de l’interpellation à Vitrolles de Logan Nisin, un militant d’extrême droite soupçonné de vouloir s’en prendre à des personnalités comme Jean-Luc Mélenchon ou l’ancien maire de Forcalquier, Christophe Castaner. Au domicile d’Annequin, seront retrouvées des armes (de poing et d’épaule).
Sur Facebook, celui qui début 2016 a été bombardé « chargé de mission » du Parti de la France, ne laisse que peu de doutes sur ses orientations politiques : messages guerriers (« Je ne prierai pas pour Nice, je combattrai pour la France et les Français »), de soutien à une personne arrêtée pour menaces de mort contre le président de la République, photo d’un tatouage mêlant les lauriers de la marque Fred Perry et le cri de guerre des Croisés, « Deus Vult » (Dieu le veut). Avec ce commentaire de Logan Nisin : « Il ressemble beaucoup à ce que je t’avais dessiné. » Auparavant, entre deux posts à la gloire du port d’arme, il avait failli se laisser tenter par une croix celtique.
Un « gentil » jeune
Si c’est Logan Nisin qui a attiré l’attention – Annequin n’a eu les honneurs que des médias locaux et des antifas – un détail frappe. Soupçonné de vouloir s’en prendre à Castaner, sur Facebook, il indique travailler à la « mairie de Forcalquier » ! Précision d’un adjoint : « On ne l’a pas embauché mais il y a effectué, en juillet, à la voirie, des travaux d’intérêt général. Sans qu’on connaisse son passé. On ne fait pas d’enquête sur ceux que nous accueillons. »
S’il n’en sait guère plus sur l’enquête, Christophe Castaner, aujourd’hui président de LREM, nous confirme : « Je connaissais ce garçon puisque je l’avais pris en TIG. Quand il a été interpellé, j’ai eu une petite inquiétude. Mais, a priori, c’est quelqu’un avec qui j’ai toujours eu des relations cordiales. Je ne pense pas qu’il visait ma sécurité ou ma famille. S’il l’avait voulu, il aurait pu. »
Le parcours de celui qui fut membre en 2009 du « conseil municipal des jeunes », interroge. Un de ses instits’ ne comprend pas la « transformation de ce garçon gentil issu d’une famille pauvre mais attentive en militant d’extrême droite ». Une autre personne qui l’a connu se dit moins surprise : « Il était gentil. Trop, peut-être. Et Manosque, ce n’est pas Forcalquier. C’est pas les quartiers nord mais le harcèlement, ça existe. Pour peu qu’il se soit fait emmerder et ensuite endoctriner… »
S’il y en a un qui est « tombé sur le cul » en apprenant son arrestation, c’est Olivier Bianciotto. Figure connue de l’extrême droite marseillaise, c’est lui qui l’a enrôlé au Parti de la France. « Quoique jeune, sur un territoire a priori pas très favorable à l’extrême droite, il avait déjà un petit groupe militant autour de lui à Manosque. Or, une structure comme un parti, ça donne un cadre légal. Voilà pourquoi je l’ai désigné comme représentant local du Parti de la France, en le faisant épauler par un militant plus âgé. » Un ancien du FN et de la Ligue du Sud, Louis Brot (1).
Un « touriste » radicalisé
A mi-mot, il reconnaît qu’Annequin animait une page intitulée « anti-Antifa 04 » qui n’hésitait pas, nous dit-on, à cibler militants et personnalités de gauche. Et confirme la condamnation d’Annequin à des TIG « suite à des tags d’extrême droite à Manosque : on l’a d’ailleurs recadré après ça ». Mais Bianciotto ne croit pas à l’hypothèse terroriste : « Si Logan est connu pour être dans la provocation, la seule chose qu’on semble pouvoir reprocher à Thomas, c’est d’avoir participé à des discussions sur internet où, pour tenir la place, il a dû aller un peu loin. Mais, à ma connaissance, rien de plus. Ce n’était pas un skin qui venait chercher de la baston et de la bière. Et, au moment où il s’est fait arrêter, il était en train de se mettre en retrait. Il avait quitté le Parti de la France, estime celui qui a lui-même quitté cette organisation. Quant aux armes, ce sont celles de son frère qui est tireur sportif. »
Si le ministre de l’Intérieur estime qu’il ne s’agit pas de « la bande la plus sérieuse qu’on ait arrêtée au cours des derniers temps », pour le spécialiste de l’extrême droite, Jean-Yves Camus, « on a affaire là à des "touristes". S‘il y a "radicalisation", ce n’est pas du fait de ce qu’ils trouvent au sein des différentes organisations mais plutôt à cause de ce qu’ils n’y trouvent pas. C’est ce qui s’est passé avec Maxime Brunerie (2). Et c’est ce qu’il faut avoir en tête quand on réclame la dissolution d’un groupe. Parce que, lorsqu’il disparaît, ceux qu’on avait repérés et qui y étaient encadrés disparaissent dans la nature ».
D’ailleurs, quand on fait remarquer au chercheur que Forcalquier n’est pas forcément une terre d’élection pour l’extrême-droite, il rétorque : « Peut-être. Mais c’est là où s’est installé Pierre Vial, l’animateur de Terre & Peuple. » Un vieux de la vieille de la droite nationaliste. Qui, sur son site web, en guise de message de bonne année, s’est fendu d’une vidéo baptisée « esprit communautaire » où l’on voit des couronnes et des bûches ornées, entre autre, de croix gammées. L’esprit de Noël, probablement…
Sébastien Boistel (avec La Canarde Sauvage)
1. Il ne parle pas plus au Ravi qu’à sa famille…
2. Ancien d’Unité Radicale qui a tiré sur Chirac le 14 juillet 2002
Enquête publiée dans le Ravi n°159, daté février 2018