Un emplâtre sur une jambe de bois
La stratégie du front républicain est emblématique de la manière dont le problème Front national – si problème autre que médiatique il y a – est traité depuis maintenant plus de 30 ans dans notre pays. Stratégie à courte vue, révélatrice de la tendance de nos responsables politiques à agir sur les conséquences, in extremis, alors qu’ils laissent s’installer parallèlement et durablement les conditions d’une inévitable progression de cette offre politique. La cantonale partielle de Brignoles est exemplaire de ce point de vue : 2 scrutins annulés, un candidat écologiste et un candidat PCF sur un territoire où la gauche est sinistrée, qui affirment leur irréductible différence au premier tour mais qui appellent conjointement à voter UMP au deuxième tour au nom du front républicain.
Comment peut-on penser qu’une telle attitude contribue à clarifier une offre politique devenue aujourd’hui inaudible notamment pour les primo-votants ? Pour les jeunes électeurs et électrices du Front national que nous avons rencontrés, souvent totalement dépourvus de garde-fous idéologiques, non socialisés aux distinctions entre la droite et la gauche, les formations politiques ne sont pas audibles. Seul le Front national qui crie un peu plus fort que les autres en caressant le bon sens populaire dans le sens du poil est entendu. C’est pourtant bien en termes d’offre politique qu’il faut penser les choses.
Les formations politiques ont démissionné, elles ont totalement renoncé à reconquérir ces électeurs pour beaucoup très épisodiquement séduits par l’offre Front national. Il est en effet beaucoup plus facile de faire de la surenchère programmatique ou plus confortable idéologiquement de désigner les méchants électeurs Front national que de s’interroger sur les raisons de leur désorientation. Il est sans doute également beaucoup plus coûteux de (re)conquérir ces franges de la population qui ne participent pas, régulièrement ou non, aux mascarades politiques que deviennent les élections. Les marges de progression électorales sont pourtant là. Le Front national n’est qu’un épiphénomène qui se nourrit du vide creusé par nos responsables politiques. Pris dans des temporalités médiatiques raccourcies, ces derniers s’épuisent à hurler avec les loups, à courir les plateaux de télévision et à mener des opérations de communication plus grossières les unes que les autres qui ne comblent pas ce vide.
Front républicain oui, au premier tour, pour rendre crédible un projet politique et pour montrer aux électeurs que les hommes et les femmes politiques sont capables de mettre leur ego et leur carrière dans leur poche. Cela supposerait de remettre à plat les règles de la compétition politique : travailler en dehors des seules campagnes électorales à l’intérêt du bien commun, replacer la citoyenneté au cœur des relations sociales, afficher une exemplarité à toute épreuve pour asseoir la crédibilité du politique et ne pas mépriser les citoyens tentés par des choix extrêmes, conséquence inévitable de la vacuité de l’offre politique contemporaine.
Christèle Marchand-Lagier