« Un cliché, c’est une construction »
C’est quoi la Marseillologie ?
Une société « savante » dont le but est de parler de choses sérieuses de manière décalée, qui s’empare de n’importe quel sujet en l’appliquant à Marseille afin de mieux la comprendre.
Quelles sont les origines des représentations, bonnes comme mauvaises, de Marseille ?
Les médias sont les premiers responsables, contribuant à créer des images, à les diffuser comme à les faire disparaître. A la fin des années 90, avec la coupe du monde et l’arrivée du TGV, se sont multipliés les articles de « découverte » de Marseille, comme si c’était un territoire jusque là lointain voire étranger. Auparavant, cette ville n’était qu’une « étape » pour prendre le bateau où l’on passait mais où l’on ne s’arrêtait pas. Désormais à 3 heures de Paris, à 1h30 de Lyon, on découvre qu’il y a la mer, des plages… Ces articles ont resurgi en 2013 avec la capitale de la Culture. Avec, à chaque fois, deux points de vue strictement opposés. Soit on ne dépeint que les problèmes (la violence, la drogue…) soit on ne vante que les aspects positifs, l’image « Plus belle la vie », comme si Marseille était un village de bord de mer très sympathique. Deux visions qui sont tout autant exagérées.
Est-ce que ces représentations ont des racines plus anciennes ?
Depuis le 19ème siècle, il y a une vision de Marseille dans l’inconscient collectif, qui découle de l’image de l’homme méridional, un peu fainéant et qui exagère. On peut remonter à Montesquieu qui a théorisé la différence entre l’homme du nord et celui du sud. Comme il fait plus chaud dans le sud, on irait moins vite que dans le nord où, du fait du froid, le sang serait obligé, pour irriguer le corps, de circuler de manière plus vigoureuse. D’où des gens plus… vifs !
Qu’est-ce que cela cache ?
Derrière les clichés associés à Marseille, on trouve ceux dont on affuble les pauvres et les étrangers. Comme la saleté par exemple. De fait, on trouve les mêmes stigmates dans d’autres régions, d’autres pays. En Angleterre, c’est au nord auquel on va associer les mêmes clichés qu’à Marseille.
Ce n’est donc pas propre à la cité phocéenne…
Un cliché, c’est une construction. Pour comprendre comment ils se forment, il faut analyser d’autres clichés. Prenez Paris : les Parisiens ne naissent pas pressés ! D’ailleurs, la majorité des habitants de la capitale ne sont pas parisiens d’origine. Il y a simplement une adaptation à un mode de vie et à ce qui semble être les règles en vigueur. Il faut aussi avoir en tête que s’il y a ces clichés autour de Marseille, c’est parce qu’on est en France et que le modèle, dans notre pays, c’est Paris. Si Marseille était en Algérie, les clichés qui lui seraient associés ne seraient pas du tout les mêmes. Enfin, une représentation, cela tient autant à l’objet qu’au sujet. Il n’y a pas une représentation de Marseille mais Marseille vue par quelqu’un. Or, les représentations médiatiques de Marseille, c’est avant tout la vision de médias parisiens. C’est-à-dire de gens appartenant à une classe favorisée d’intellectuels vivant plutôt à Paris intra muros et qui portent un certain regard sur des populations métissées, pas très aisées et qui n’ont pas du tout les mêmes codes qu’eux.
Comment déconstruire ces clichés ?
Il « suffit » d’en identifier les origines. Prenons la saleté. C’est vrai qu’il y a des endroits à Marseille qui ne sont pas très propres. Mais ce n’est pas parce que les Marseillais seraient sales ou fainéants par nature. Il faut se demander d’où ça vient. Au-delà du fait qu’il est plus simple de jeter ses ordures dans la rue si celle-ci est déjà sale que si c’était impeccable, il faut interroger le système de ramassage des ordures, le « fini-parti », etc… Et là, ça devient tout de suite beaucoup plus complexe !
Entretien réalisé par Lohanne Ferraud, Emma Franchi et Laurie Gaillard
Cet article a été publié dans le Ravi n°141, daté juin 2016. Il a été rédigé par des étudiants de la licence « Sciences & humanités » (fac St Charles Marseille) dans le cadre d’un projet autour du thème de la « mémoire » piloté par Sébastien Boistel , journaliste au Ravi.