Un café phare pour jardiner les esprits
On le sait, la nature a horreur du vide et c’est précisément dans cette désolation (au sens de la solitude intérieure dont parle Arendt) que tous les mouvements extrémistes enfoncent leur radicelle. Quand une ville n’est plus irriguée, elle se replie pour survivre et s’emmure en faisant fuir ce qui précisément pourrait l’abreuver et l’épanouir : les petits commerces. Or ces organismes, qui constituent le tissu cellulaire d’une ville, sont aussi les plus fragiles et la moindre insécurité menace leur prospérité. En tant que lieu de circulation, ils participent de la pollinisation d’un centre ville : sans fleurs, les abeilles ne viennent plus.
Ce mécanisme séculaire de protection qui durcit les êtres vivants, maçonne des prisons intérieures et des défenses d’une violence d’autant plus radicale qu’elle semble légitime.
Dans cette obscurité et face aux obscurantismes, nous avons donc un jour décidé d’allumer un « point de lumière ». Le point de lumière serait un lieu ouvert et chaleureux qui continuerait de rayonner après 19h, heure à laquelle le centre ville de Carpentras se ferme et se recroqueville.
Nous avons choisi l’axe de la parole et de la réflexion citoyenne : « Au point » l’on vient boire un verre et grignoter mais le dialogue est au centre de notre intention. Nous organisons des débats et des conférences avec une amplitude très larges d’intervenants (écrivains, philosophes, économistes, scientifiques, etc.).
Notre but : une éducation populaire qui se fait en sortant de chez soi, par la rencontre et la convivialité. Nous avons emprunté une de nos devises à Jacques Rancière : « Tout ce qui n’émancipe pas abrutit. » Notre éthique est la philosophie de la joie selon Robert Misrahi qui parraine notre lieu.
La tristesse rétracte et ramasse l’individu sur lui-même ou son clan, mais sur un tissu vivant et joyeux, les extrémismes, à l’instar des gangrènes, régressent. Nous organisons une sorte de résistance biologique aux idées raides et radicales. Au « point de lumière » aucun communautarisme ne peut creuser son terrier, notre café citoyen n’est pas un repaire, il est au contraire une Agora.
Les extrémistes s’attaquent en premier à ce qui leur ressemble c’est-à-dire les communautés. Le principe des deux cotés est le même : repli identitaire et concentration des forces qui deviennent violentes par « macération ». Nous avons choisi de nous installer au cœur de Carpentras parce que c’est justement le cœur qui produit la pulsation d’une ville et organise les flux. Notre café alternatif pose un autre regard sur l’économie et la société, il propose un questionnement car seules les questions remettent les idées à l’ouvrage et pétrissent les esprits. Le remodelage permet de transformer en les assouplissant, les calcifications (les mauvais calculs) qui figent l’esprit et favorisent l’émergence des mouvements extrémistes.
Or à Carpentras nous faisons l’expérience d’une formidable contradiction : les extrémistes sont justement ceux qui sont le moins en mouvement. Ainsi les organisations extrémistes ne sont-elle pas des « vagues » mais des tumeurs de désespoir. Notre café « le point de lumière » annonce qu’il parle et que la parole est « altéritaire » là où les extrémistes sont identitaires.
Adèle Côte