« Tu ne peux pas décréter le Oaï ! »
Votre regard sur Marseille Capitale de la Culture ?
Le concept même de Marseille Provence 2013 ne marche pas. Aucun Marseillais n’a décidé de ça. Vous avez vu l’affiche pour MP 2013 ? : « En 2013, la Méditerranée devient un bouillon de culture. » C’est se moquer des gens. Si tu regardes l’Histoire, c’est un peu là qu’on a inventé les trucs. Jamais un Marseillais n’aurait pu inventer un slogan pareil. Ce qui nous importe, c’est d’être capitale. Pas capitale de la culture, de la mode ou des pieds paquets… A chaque fois, on est capitale, mais d’un petit truc.
Vous ne pensez pas que cette mise en lumière va aider Marseille à sortir de l’impasse ?
Pour le Carnaval, il y avait autant de gens que de flics. Ça fait bizarre de penser que la capitale de la culture fait peur… C’est une arme du centralisme. Les villes qui sont capitales de la culture sont toujours des villes « à la ramasse » (Liverpool, Istanbul…). Ce n’est qu’une mise sous tutelle supplémentaire. Paris continue son plan de centralisation comme elle l’a fait dans d’autres domaines, comme le dénigrement de nos élus ou de notre police locale. Je ne dis pas qu’ils ne sont pas incapables, mais je préfère que ce soit moi qui le dise plutôt que Paris. Quand France Inter vient me voir en me disant : « Parlez-nous de Marseille », moi, je ne veux pas leur parler de Marseille, je veux leur parler du monde ! Il y a une tare congénitale de l’Etat français, du centralisme, une paranoïa qui entraîne toujours un côté méprisant.
Vous êtes pourtant un symbole grâce à Massilia Sound System, d’un groupe régional qui a réussi…
Personne en Angleterre ne me considère comme un chanteur régional ou français, je suis un chanteur du monde. Ici, au mieux on est des mecs sympas, exotiques, rigolos. Si tu n’es pas national, pour eux, tu n’as aucune importance internationale. A moins de te déguiser en Parisien.
Lors de la soirée d’inauguration, beaucoup de Marseillais étaient dans la rue…
Il n’y a tellement rien d’habitude que tout le monde était là. C’est comme le plan Marshall, vous êtes dans la galère, et on vous amène à bouffer. Chouette, super. Le peu qu’on nous donne, on ne crache pas dessus. C’est un peu comme si on était en Palestine et que l’Etat d’Israel programmait l’événement. Ce serait pareil. Il y aurait sans doute des choses bien mais l’objectif à long terme serait l’inverse de ce qui a été annoncé.
La Grande Clameur, que certains ont dit être de votre cru, qu’en pensez-vous ?
Nous, on a inventé le oaï ! Ou tout du moins, on l’a mis en exergue. A la place, ils nous mettent une « clameur ». Ça ne vient pas de nous, c’est un gros mensonge. On a un mot ici, ça s’appelle le oaï. La clameur devait se faire à 19 heures. Ca ne pouvait pas marcher, tu ne peux pas faire un ministère de la fête ! « Bonjour les gars, faites la fête à 15 heures ! » Tu fous pas le oaï juste comme ça, il faut que ça serve à quelque chose. Tu ne peux pas décréter le oaï. Les spécialistes du oaï ne doivent pas être dupes de ce truc-là.
Vous a-t-on sollicité pour des créations de projets ?
Quand on envisage de subventionner 400 mille euros un concert de David Guetta payant… tu ne peux plus t’étonner que la culture marseillaise passe à la trappe… Massilia ne joue pas cette année. Moussu T. e lei jovents ont été sollicités pour faire leur hymne. On a dit non. Je ne vais pas faire l’hymne de mes ennemis !
Pourtant Gari Greu, chanteur de Massilia Sound System, l’a fait. Pourquoi selon vous ?
Ils se sont débrouillés pour avoir affaire à chaque membre de Massilia individuellement, ils ont réussi d’ailleurs… On aurait aimé en discuter, on n’a pas pu. Le plus déplorable, c’est qu’il y a parmi des artistes marseillais, même de bonne foi, quelques-uns qui se jettent dedans parce qu’ils n’ont pas de fric. La misère n’est pas une bonne conseillère…
Propos recueillis par Elsa Montbel
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