Tu ne cumuleras plus
Dans son numéro147, daté janvier, toujours diffusé chez les marchands de journaux (et chez les abonnés !), le Ravi se penche sur les conséquences de la loi sur le non-cumul des mandats pour des députés-maires qui doivent choisir entre leur ville et l’Assemblée nationale. Avec comme illustration le cas du député-maire PCF de Martigues, Gaby Charroux. Secret de polichinelle au moment de la rédaction de notre enquête, l’élu a officialisé son choix de se consacrer à sa mairie le 11 janvier, devenant suppléant du patron communiste des Bouches-du-Rhône, Pierre Dharréville, pour la prochaine élection législative.
Gaby Charroux est par ailleurs opposé à cette réforme du non-cumul : « une erreur », estime-t-il, qui risque d’engendrer « des élus hors-sols sans contact avec leur circonscription » Lie ci-dessous notre entretien réalisé le 25 janvier]. Ce dont, bien entendu, se défend Pierre Dharréville, favorable à cette réforme, arguant du fait que son suppléant lui permettra d’être à l’écoute des enjeux municipaux de la circonscription… ([Ecoutez ici notre grande Tchatche enregistrée le 19 janvier 2017 à lire également dans notre édition de février). Pour l’actuel député-maire de Martigues, les deux mandats sont complémentaires. Nous publions ici l’article en question, à retrouver dans notre séquence complète dédiée à l’élection présidentielle et législative, complété d’un entretien plus récent réalisé avec Gaby Charroux.
C. C.
Tu ne cumuleras plus
Début janvier, l’annonce n’était pas encore officielle. Mais le secret n’en est plus vraiment un. Sauf revirement de dernière minute, Gaby Charroux, député-maire de Martigues (13), devrait officialiser qu’il ne briguera pas la députation en juin prochain pour se concentrer sur sa mairie, non-cumul des mandats oblige. En novembre dernier, il confiait déjà au site web Gomet qu’il se « dirige[ait] vers ça ».
Promulguée en 2014, mais véritablement appliquée à partir de la prochaine législature, la loi sur le non-cumul des mandats empêche un parlementaire d’occuper un mandat exécutif local (maire, président d’intercommunalité ou de collectivités territoriales, adjoint, vice-président…). C’est le cas d’environ 70 % des députés régionaux… Après donc un seul mandat de député, Gaby Charroux, 74 ans, va laisser la place. Mais il semble ne pas avoir très bien préparé le terrain de sa succession. Dans une des rares circonscriptions régionales gagnables par la gauche et, encore plus rare, par un communiste, les différents partis attendent de voir. Surtout que le Front national y fait des scores aussi très élevés : au deuxième tour des régionales de 2015, c’est l’un des seuls territoires à avoir plus voté Marion Maréchal (Nous-voilà)-Le Pen que Christian Estrosi… Et il se murmure qu’un parachutage d’un frontiste n’est pas à exclure.
Succession « Les camarades locaux ont décidé de « geler » cette circonscription. Il y a trop d’incertitudes : la défection probable de Gaby Charroux, un FN très haut…, explique Mickaël Bruel, secrétaire PS de l’union régionale. Nous attendons de savoir qui reprend le flambeau. Les communistes ne veulent toujours pas discuter avec nous mais nous gardons espoir, nous cogérons la ville de Martigues avec eux et les écologistes. » Les socialistes attendent surtout le nom du successeur de Charroux.
Le député-maire sortant verrait d’un bon œil l’investiture de son attaché parlementaire et conseiller départemental, Gérard Frau, tandis que le national pousserait la candidature de Pierre Dharréville, secrétaire départemental du PC, scénario privilégié au PS. Au PC, on ne confirme ni infirme : « Ce sont les militants qui vont voter, et dans cette circonscription [historiquement communiste, Ndlr], ils sont assez responsables pour que le national s’en mêle », élude Paul Sabatino le responsable départemental communiste aux élections. Un vote se tiendra le 14 janvier. La fin du cumul, dont l’un des objectifs en plus d’améliorer l’activité parlementaire est le renouvellement de la classe politique, va forcément provoquer des guerres d’appareil. « Il est clair que la succession doit bien se préparer en amont » indique Marie-Ange Grégory, chercheuse en sciences politiques à Sciences po Aix. La tentation est grande de « cumuler par grappe », c’est-à-dire de placer des proches au mandat abandonné et de garder le leadership au niveau local, entretenir sa baronnie et empêcher l’émergence d’une autre personnalité.
Baronnies Comment choisir ? « Le mandat national est plus valorisant tandis que le local vous permet d’avoir une meilleure visibilité, d’entretenir sa base électorale », continue la politiste. Jean-Pierre Giran, député Les Républicains du Var auteur en 2012 d’un rapport favorable au non cumul (plutôt rare dans son camp) et qui a choisi sa mairie, abonde : « J’en suis à mon quatrième mandat de député, j’ai fait le tour. Par contre, je ne suis pas surpris qu’un jeune élu veuille découvrir Paris. Non je crois que la majorité du personnel politique s’accorde à dire qu’il n’est pas possible de gérer correctement une commune et être député. C’est plus compliqué à droite mais personne ne reviendra sur cette mesure. Par contre ce qui est insultant, c’est de lâcher son mandat et continuer de l’exercer en sous-main… » Pan dans les dents d’Estrosi, faux maire de Nice. Dans le Var, tous les députés sont cumulards et Jean-Pierre Giran est a priori le seul à choisir sa commune.
N’est-ce pas aussi dangereux pour le camp d’un député de ne pas se représenter sachant qu’il existe généralement une « prime au sortant » ? Pas nécessairement estime Marie-Ange Gregory, si l’élu s’investit dans la campagne du dauphin. Ça l’est pour Mickaël Bruel, mais « consolider la démocratie, c’est aussi prendre des risques », avance-t-il. Enfin, autre forme de cumul toujours autorisée, le cumul dans le temps. Une toute autre histoire…
Clément Chassot
Enquête publiée dans le Ravi n°147, daté de janvier 2017