« Tout ce qui se dit hors micro n’est pas retranscrit »
17h02
le Ravi fait son entrée dans la salle du conseil : grande pièce délavée avec lustres et chandeliers aussi kitchs que les rideaux roses accolés aux portraits des présidents de la Vème République. Giscard a jauni.
17h03
La table presse est « réservée à La Provence et Vaucluse Matin », fait savoir la chargée de communication, qui indique les chaises du public. Dommage, le Ravi avait soif et lorgnait déjà sur la jolie bouteille d’eau postée là.
17h05
Pascale Balas, unique représentante de la gauche aujourd’hui, explique pourquoi cela en devient une habitude : Olivier Florens, ancien conseiller général écolo et deuxième élu de la liste Union de la gauche, est aux abonnés absents. Injoignable, il ne donne pas délégation à sa collègue et n’a pas démissionné pour se faire remplacer par un autre membre de la liste… Les trois élus Front national sont également absents. « Le dernier conseil était animé… Ce sera beaucoup plus calme aujourd’hui », prévient l’élue socialiste.
17h07
Le député-maire Jean-Claude Bouchet, costume cintré bleu sur chemise bleue et cheveux blancs qui font ressortir son teint halé, fait son entrée. Aussi svelte qu’un marathonien qu’il prétend être sur son compte Twitter.
17h09
Le maire prend la parole. L’acoustique est très, très mauvaise. Dans le même temps, Yves Daram, de la Ligue du Sud, trafique des chaises. L’élu d’extrême droite semble préférer le plastique plutôt que les sièges bien rembourrés… le Ravi n’en tire aucune conclusion médicale.
17h10
Avant d’adopter le procès-verbal du dernier conseil municipal, Yves Daram a une objection. L’une de ses prises de parole n’a pas été retranscrite en entier après que son micro a été coupé. « Tout ce qui se dit hors micro n’est pas retranscrit. Vous pouvez me faire un courrier pour me signaler ce qui doit changer monsieur », envoie balader Jean-Claude Bouchet.
17h12
On passe aux deux premières formalités, mais d’importance : une demande de subventions au Conseil départemental et au Conseil régional pour la feria du melon 2016 et l’octroi d’une subvention de 8000 euros au club taurin Paul Ricard. Pendant qu’un adjoint fait le boulot, Bouchet discute avec sa collègue de droite.
17h16
Voilà le gros du morceau. Aujourd’hui est organisé un « débat » sur le « projet d’aménagement et de développement durables (sic) » de la commune, le Padd en langage administratif. Une pièce centrale du Plan local d’urbanisme. Impactée par deux plans de prévention du risque inondation, la commune n’a pas adopté de document d’urbanisme depuis 14 ans… Bel élément de langage du maire : « Il s’agit de savoir quelle ville nous allons bâtir et quel paysage hérité de nos aînés nous allons laisser à nos enfants. » Un cabinet de conseil, Citadia, s’est associé à la mairie et « la représentante… madame… euh… la dame dont j’ai oublié le nom nous présentera ce Padd ». Il s’agit d’évoquer « l’habitation, les transports et la mobilité, la préservation des espaces agricoles, l’emploi… » Bref un beau pot-pourri.
17h18
La parole est à Gérard Daudet, premier adjoint délégué à l’urbanisme et aux aménagements urbains. Il a accessoirement longtemps été un cadre local du géant du BTP Eiffage. Ça peut aider… Son micro laisse échapper de nombreux larsens. Il prendra finalement celui du maire pour expliquer qu’un « Plu ne se fait pas seul et que nous avons besoin de l’équipe municipale ». Ce Padd, pensé à l’horizon 2030 pour une population de 30 000 personnes, affiche fièrement quatre ambitions : Cavaillon ville dynamique, attractive, ville à vivre et ville du Luberon. L’accent est clairement mis sur la revalorisation d’un bien terne centre ville, l’attractivité économique, l’aménagement routier et de zones résidentielles, le tourisme… Un des forts enjeux pour la ville est l’urbanisation de sa partie sud, aujourd’hui en zone inondable, et la création d’une zone d’activité. Pour cela, l’intercommunalité va débourser 7 millions d’euros afin de construire une digue sur la Durance pour rendre une centaine d’hectares constructibles. Nous nous sommes déjà fait l’écho du combat de jeunes et moins jeunes militants qui occupent une ferme sur ces terres agricoles à la qualité rare que le maire aimerait donc bétonner (le Ravi n°135 et n°137). Pour la préservation des terres agricoles, activité historique du territoire, on repassera.
17h29
Pendant ce long monologue, Jean-Claude Bouchet a les yeux rivés sur son téléphone intelligent. Sûrement pas sur son compte Twitter, qui n’est plus actif depuis le 23 mai 2012 et sa campagne pour les élections législatives. Hasard ou coïncidence ? Plus discrètement, la représentante-qui-n’a-pas-de-nom prépare son joli Powerpoint.
17h34
La fameuse représentante entame à son tour son discours, même si « il y a déjà eu beaucoup de choses de dites ». Elle reprend point par point les quatre ambitions de la ville en répétant de nombreux éléments déjà donnés par le premier adjoint, les superbes animations du Powerpoint en plus. Parmi les quelques digressions, trente secondes top chrono sur « l’amélioration de certains quartiers via le contrat de ville qui font l’objet de requalification ». Il s’agit de deux quartiers de relégation sociale de la ville : les Condamines et le docteur Ayme.
17h42
Jean-Christophe Ozil, fidèle directeur de cabinet du maire récemment battu à l’élection du secrétaire départemental de Les Républicains, fait une entrée furtive dans la salle pour donner un document à un membre du cabinet.
17h51
« Merci d’avoir tenu tout ce temps » rigole le député-maire. Le « débat » peut commencer. Beaucoup de questions de la majorité sur le rythme des constructions, le patrimoine, sur les projets de rocade et celui coûteux du pôle santé, le tourisme, les inondations, les équipements publics, l’hippodrome… Il y a parfois très peu d’entrain et une compréhension même des propres questions de chacun qui vire un poil à la mise en scène…
17h56
Première question de l’opposition par la socialiste Pascale Balas qui demande s’il est prévu un écoquartier dans le nouveau quartier est. Daudet : « Pouvez-vous me donner la définition d’un écoquartier ? » Balas : « Je n’ai pas tout sous les yeux mais il y a des règles ! » Daudet : « Si on parle de bâtiments à économies d’énergie, de déplacements doux, d’espaces verts etc. oui ! Mais nous ne l’avons pas inscrit comme tel. »
18h00
Au tour du sémillant Yves Daram de s’exprimer : « Je voudrais faire une déclaration. » Réprobation de l’assistance, visiblement peu goûteuse des monologues de l’élu Ligue du Sud. Gérard Daudet lui précise qu’il faut poser une question, que ça ne dure pas un quart d’heure et qu’il ne s’étonne pas si son micro est coupé… Le maire tranche, il a deux minutes trente. Ce sera finalement huit minutes d’alternance entre chaud et froid, entrecoupées de relents xénophobes : « Après une deuxième lecture du document, nous constatons l’excellent travail prospectif, intelligent et compréhensible avec de belles priorités. […] Mais, cela reste un travail hypothétique. Quelle valeur revêt ce projet si la pression migratoire continue à s’accroître, si les réfugiés et les immigrés maghrébins continuent d’affluer, n’est-il pas absurde ? […] Enfin, c’est un projet utopique. J’ai beaucoup apprécié les modes de déplacements doux et le bioclimatique… Une novlangue technocratique pour des concepts de bobos. » Quelques élus s’indignent de ces propos mais la plupart font semblant de n’avoir rien entendu. Comme le maire qui pianote tête baissée.
18h31
Le « débat » se termine. Le maire finit par cette belle formule, qu’il aurait peut-être dû déjà tenir il y a 6 ans lors de son élection : « Nous n’avons d’ambition que de redonner une ambition à la ville. » Rideau.
Clément Chassot