Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe…
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Difficultés érectiles ? Vaginite atrophique ? Trouble du désir et de l’excitation sexuelle ? Irritation ? Brûlure ? Sécheresse vaginale ? Éjaculation précoce ? Les stands du Parc Chanot à Marseille se suivent et ont tous les solutions à vos problèmes. Bienvenue aux 11e Assises de sexologie et de santé sexuelle ! En cette mi-mars, pas moins de 800 sexologues sont réunis pour échanger et approfondir leurs connaissances sur ce qui fait tourner le monde : le sexe, de son absence à son trop-plein, de ses difficultés à son bien-être. Un sujet au cœur de la vie de chacun qui est vécu parfois dans la souffrance.
« Tu sacrifies ta vie pour ton orientation sexuelle. Donc ce qui t’intéresse c’est le sexe », un intervenant rapporte les paroles entendues par l’un de ses patients. On entre dans le vif du sujet par une conférence sur le sexe des hommes entre eux soit dans le jargon « HSH », la difficulté à dire, les rencontres brèves, les violences, les rejets raciaux, etc. Alexandre Chevalier, coordinateur des actions de prévention de l’Association de lutte contre le sida (ALS) à Lyon arbore un tshirt explicite : « I love sex », qu’il justifie par « un pari perdu » se réjouissant tout de même de « ne pas être obligé de porter un gode ! ». On le constatera au long de la journée, les professionnels ne s’embarrassent pas de périphrases et appellent une chatte… une chatte ! Des mots légers pour aborder des sujets qui le sont beaucoup moins.
Tout un chacun peut se décréter sexologue, mais ceux présents aux Assises sont tous des professionnels de santé. Ils sont psychologues, médecins, kinés, infirmiers, sages-femmes, psychomotriciens ou encore conseillers conjugaux formés à la sexologie. « Vous savez combien un généraliste, gynécologue ou psychiatre a d’heures de formation à la sexologie durant ses études ? », nous interroge Philippe Brenot, anthropologue, psychiatre et sexologue, membre du conseil scientifique des Assises. « Zéro ! », note-t-il. Depuis 30 ans, un diplôme interuniversitaire (DIU) de sexologie permet aux professionnels de santé de se former en trois ans dans douze universités en France (lire encadré). Il est reconnu par l’Ordre des Médecins depuis 1996. « Et non sans difficulté », précise le psychiatre.
Pour le plaisir
L’intérêt pour la sexologie est venu avec la libéralisation de la parole et l’aspiration de tout un chacun au bonheur et au plaisir. « Dans le monde animal, la sexualité s’est organisée par rapport au signal d’angoisse et de peur. Et comme l’homme est un animal symbolique, la sexualité humaine ne peut se vivre que s’il y a une absence de danger, précise le sexologue. On ne vit pas des vies normales, nos charges mentales sont très fortes. Et il n’y a jamais eu autant d’angoisses. Les séparations sont de plus en plus nombreuses, ceux qui me consultent en sont parfois à leur cinquième couple et ils voudraient que ça marche enfin. »
« Si le PH vaginal de Jocaste avait été alcalin, c’est Oedipette qui serait venue au monde ! » Rires et applaudissements dans la salle. Boris Cyrulnik, neurologue, psychiatre et éthologue, père de la résilience, prend le micro pour une conférence sur la « mémoire traumatique et (la) construction de la sexualité ». Ou selon qu’un enfant à l’intérieur du ventre de sa mère se sera senti en sécurité ou pas percevra par la suite les signaux sexuels d’une manière sereine ou angoissante.
Dans le hall, on rencontre Rodolphe et son Handylover, une assise qui va et vient avec le mouvement du corps, équipée ou pas de sextoys. Un objet à destination des handicapées physiques mais pas que… « La solitude peut être aussi un handicap », note le concepteur. Fanny, du stand d’à côté, n’est ni handicapée, ni célibataire, mais elle a acheté la formule duo, l’an dernier, et nous assure que ça lui procure « des sensations insoupçonnées ». Rodolphe a remporté de nombreux prix en matière d’innovation, il est soutenu par la chaire Unesco « santé sexuelle et droits humains », mais il rencontre pourtant des difficultés à faire vivre son produit car il se confronte à deux tabous : le sexe et le handicap.
Après la pause déjeuner, on a le choix entre l’atelier « onde de choc dans la dysfonction érectile » ou celui sur « éjaculation douloureuse ». Va pour les ondes de choc… Ça se passe au sous-sol dans une salle éclairée aux néons et remplie d’urologues. Un peu glauque ! L’intervenant, Docteur Droupy, n’a heureusement pas la tête de son nom. Ses propos sont très techniques. Au centre de la table, LA bête est munie d’une sonde qui comme nous le montre explicitement un dessin animé, décharge des ondes de la base du pénis au gland du patient. Elle aurait à ce jour redonné le sourire à 60 000 têtes basses. Droupy la teste sur nos mains. « C’est pas là que ça se teste ! », hurle un urologue qui pouffe de rire lorsque Droupy précise qu’elle s’utilise avec un gel « acqueux ». « Sylvain l’utilise mais dans le vagin », nous indique la gynécologue assise à nos côtés afin d’introduire au mieux son collègue le Docteur Sylvain Mimoun, spécialiste du plaisir féminin et des plateaux télé. Effectivement, le sexologue nous explique qu’il démarre une étude sur dix de ses patientes souffrant d’anorgasmie.
Un sujet tabou
15 heures, Christel Le Coq, conceptrice de B-Sensory, un vibromasseur connecté à de la littérature, vient raconter son parcours de combattante pour commercialiser son sextoy. Du fabricant qui lui lance un « celles qui lisent sont des mal baisées », au banquier qui lui refuse un crédit car son idée n’est pas assez « éthique », en passant par le jury masculin d’un concours de start-up qui lui précise « ne pas être en capacité de juger un tel produit » et donne le premier prix à une tireuse à bière connectée. « Il y a du sexe partout, mais la sexualité dérange toujours autant », conclut la conceptrice. Dans le public, une jeune femme se prend à rêver : « Chez nous on est très domotique, je pourrais le déclencher le soir en même temps que la fermeture des volets ! » On poursuit avec une conférence sur le porno addict suivi de la présentation d’un rapport sexuel sous IRM, édifiant ! Le porno de demain, qui sait ?
En sortant, on tombe sur deux sexologues lyonnais hauts en couleur qui ont créé une carte sur la libido féminine. Elle prend la forme d’un paysage : le canyon de l’abandon, la barrière du dégout ou le maquis des cactées, une manière de faciliter le dialogue entre la patiente et le sexologue. « Avec tout ce qui est sorti sur le sujet cette année, heureusement qu’on a mis la Chaîne du clito !, nous lance la conceptrice qui se rend compte par contre qu’elle a « oublié l’anus et la bouche ». C’est ballot. Son acolyte semble quant à lui en grande discussion avec un de ses confrères : « Tu sais pourquoi les Japonaises sont celles qui pratiquent les meilleures fellations ? » On imaginait le sujet épineux, on le découvre graveleux. Comme quoi en fin de journée, tout professionnel a ses limites…
Samantha Rouchard
Préliminaires marseillais
En 1983, le premier enseignement universitaire en sexologie en France est institué à Marseille, et il est ouvert à tous. « Ce sont les mouvements féministes qui l’ont impulsé. Car les femmes ont une approche plus globale, plus corporelle de la vie », explique Martine Potentier, kinesithérapeute sexologue à Marseille, présidente de l’Asclif (Association des sexologues cliniciens francophones) et militante depuis la première heure. La figure de proue est Mireille Bonierbale, psychiatre sexologue marseillaise qui, en 1976, participe à la mise en place des premiers enseignements et diplômes de sexologie en France. C’est elle qui permet ensuite la reconnaissance de la sexologie comme une pratique médicale par l’ordre des médecins. Elle est désormais directrice de l’enseignement de sexologie à la faculté de médecine de Marseille et présidente de l’Aius (Association interdisciplinaire post universitaire de sexologie). En région Paca, Nice permet aussi d’accéder au diplôme en trois ans.
S. R.
Reportage publié dans le Ravi n°161, daté avril 2018