Tous les Pacaïens, toutes les Pacaïennes…
Comme disait la pub : « Vous avez le droit de rater vos vacances, pas vos photos. » En Paca, vous ne manquerez pas de clichés. Au point que s’interroger sur l’identité de notre région est casse-gueule. Mais Michel Vauzelle, le patron (PS) du Conseil régional, peut souffler : son mandat est prolongé jusqu’en décembre 2015 et on ne touchera pas à SA région. S’il y avait eu extension, soupire-t-il, « nous aurions perdu la communauté de destins qui s’est créée de Menton à Briançon et aux Saintes-Maries-de-la-Mer ».
Et si on n’avait pas touché à Paca simplement parce que cette région n’existe pas ? Pour Hervé Guerrera, du parti Occitan, « Paca, c’est une invention qui n’a aucune consistance. On ne sait même pas comment appeler ses habitants ! Les Pacaïens ? » Même son de cloche de l’historien René Merle (1) : « On peut parler d’identité provençale. Mais allez dire à un Niçois qu’il est provençal ! Dans cet ensemble disparate, vous avez d’un côté Marseille, un isolat qui regarde assez peu vers l’intérieur et, de l’autre, Nice, avec, entre les deux, Toulon. Vous n’avez donc pas de métropole comme Montpellier ou Toulouse. D’où une région dont le drapeau baroque résume ce qu’elle est : un patchwork. » Et le côté clownesque des plasticages du mystérieux « FLNP » (2).
Toutefois, vu les dernières élections, on ne manque pas d’« imbéciles heureux qui sont nés quelque part ». Mais ici, rien n’est simple. Lorsque le carnaval de la Plaine à Marseille se fit les crocs sur un coq tricolore, son avocat pointa le paradoxe à fustiger «l’identité nationale » tout en beuglant « Paris, on t’encule ! » Et si, chaque année, à Bollène (84), Marie-Claude Bompard, Mme le maire d’extrême droite, organise une fête médiévale avec cochon grillé et combat de chevaliers, le seul parti à avoir voté contre la motion de Guerrera en faveur des langues régionales, « c’était le FN ».
Retour des fêtes médiévales
D’après la sociologue Maïa Drouard (3), la défense des vieilles pierres a été mise en œuvre par la frange la plus conservatrice du monde politique. Cela n’empêche pas de voir, à Aix-en-Provence (13), la municipalité UMP se gargarisant du centre ancien se faire interpeller par la gauche concernant les bastides qui partent en morceaux. Ou, à Luynes (13), des riverains plutôt à gauche, s’opposer, au nom du patrimoine et des paysages, au projet de clinique privée soutenu par la mairie : « Parler de patrimoine, de culture, note la chercheuse, c’est aussi, en cherchant le consensus, une manière de dépolitiser. »
Il est néanmoins des héritages encombrants. Comme la bastide de Charles Maurras, à Martigues (13), que la mairie (PCF) doit, sans rechigner, ouvrir aux royalistes de l’Action française. « Dommage pour Martigues, sourit la sociologue. Car, le problème de la patrimonialisation, ça ne peut pas être que la dimension architecturale d’un lieu. C’est aussi son histoire. » Or, l’identité, c’est la pierre, mais aussi la langue – le provençal, l’occitan…- et ceux qui la portent.
Ainsi, sur le site du Félibrige, cet organe mis en place par Mistral pour promouvoir la culture et la langue provençale, cet avertissement : « Les statuts du Félibrige interdisent à notre mouvement tout soutien, toute prise de position, en faveur d’un parti politique […] Toute présence du logo du Félibrige et/ou d’un lien vers notre site officiel, établi à notre insu sur un site ou sur un blog d’un parti ou d’un groupement à caractère politique, donnera lieu à une plainte. » Commentaire de Guerrera : « Après que Pétain ait rétabli officiellement les idiomes en France, le mouvement a été traumatisé et s’est réfugié dans la culture. »
Or, ce n’est pas comme si la notion d’identité n’était pas instrumentalisée par le politique. Explication du succès du FN à Tarascon (13) par Valérie Laupies, l’égérie locale du Front : « Ici, on est aux portes de la Camargue, chez des gens attachés à leur identité. Et puis, Tarascon, c’est un peu l’idée qu’on se fait de la Provence. Gagner ici, pour le FN, ce serait comme s’emparer de toute la Provence. » Une imagerie alimentée par les fêtes de la Tarasque. Et que ne goûte guère Emmanuelle Bonhomme, du Front de Gauche : « On assiste à un retour des fêtes médiévales, à une mise en avant du folklore. On revisite le passé et on fige les représentations. Tout cela me met mal à l’aise. Une identité, c’est tout sauf neutre. Et c’est avant tout une construction. »
Les politiques se déguisent
Commentaire de René Merle : « Quand le FN a dirigé Toulon, on a vu se multiplier les fêtes provençales. Et, moi qui suis bilingue, ce qui m’a toujours frappé, c’est de voir que ces politiques qui participent aux fêtes traditionnelles ne parlent pas, pour la plupart, le provençal. Ils n’ont pas fait l’effort de s’approprier la langue et se contentent d’un vernis. Ils se déguisent. Et ce, en assurant ne rejeter personne mais, au contraire, vouloir ainsi intégrer tout le monde. Alors que c’est bien plus ambigu. Comme lorsqu’à Toulon, le RCT entonne la Coupo Santo… »
Identités affichées, claironnées… Le marché est rentable, et pas que pour les politiques. Au-delà du succès des Amaps en Paca, les fameux paniers paysans, est-ce un hasard si c’est à Aix qu’a vu le jour une start-up proposant la vente en ligne des « vrais produits de nos régions » ? Pour attirer les touristes, MP 2013, lors de l’année européenne de la culture, fit défiler chevaux, moutons et Arlésiennes. Seuls les cavaliers marocains manquèrent à l’appel, renâclant à participer à une « Transhumance » ne mettant pas assez en valeur l’artisanat et le tourisme… Une opération qui n’a su rappeler, comme le fait Guerrera, qu’ « ici, les clôtures, du fait justement de la transhumance, c’était une aberration. Aujourd’hui, on est la région du pavillon, de la résidence fermée ». Et René Merle de compléter : « dans une région où certains se disent identitaires, il est évident que certaines identités sont niées. Et que ça tousse quand on explique qu’au 18ème siècle, à Marseille, les fils de la bourgeoisie apprenaient l’arabe pour le négoce. Mais d’autres s’étouffent en apprenant que Marseille a été dirigée par un fasciste, Simon Sabiani. »
Alors, si Paca est une invention, son identité serait-elle à réinventer ? Pas simple, pour l’historien : « On pourrait parler d’identité méditerranéenne. Sauf qu’un habitant de Sisteron, ce qu’il voit de sa fenêtre, ce n’est pas la mer, c’est la montagne. Quant à l’occitan, contrairement à ce qu’on voit en Espagne, il n’y a pas d’ancrage populaire. » Pas simple non plus pour Georges Fournier, de la Ligue des droits de l’Homme à Martigues (13) : « On n’est pas à Arles (13). L’identité est plus composite. Ce n’est pas pour rien si, il y a quelques années, le festival international du folklore de la Capoulière est devenu un festival de musiques du monde. »
Confirmation du médiéviste Mike Carpentier : « On n’est pas dupe de l’engouement de certains maires pour les fêtes médiévales. Moi, je me suis passionné pour l’histoire d’une région dont je ne suis pas originaire au point, me disent de vieux Provençaux, de connaître mieux qu’eux l’histoire de leur ville. Et ce qui est certain, c’est qu’il n’y a guère d’endroit où il y a eu autant de brassage qu’ici. »
Las, déplore Anne-Marie Hautant, collègue d’Hervé Guerrera, « identité, c’est devenu un gros mot. Quand vous vous dites régionaliste, on vous regarde de travers. Et pourtant, partout ailleurs en Europe, la diversité est mise en valeur. On se bat pour la biodiversité. Quand le fera-t-on pour la culturo-diversité ? » Mais l’identité, c’est parfois lourd à porter. La preuve ? La dernière reine d’Arles s’appelle Graillon…
Sébastien Boistel