Toujours les mêmes qui trinquent !
Dans la rue, la consommation d’alcool devient compliquée pour les sans-abris. Azedine, 40 ans, vit dehors depuis un an et demi (lire aussi page VIII). Il s’est retrouvé en garde à vue deux heures pour avoir ouvert une bière aux Réformés à Marseille, un lieu pourtant où déguster une pinte en terrasse ne choque personne. « Eux comme moi on a perdu du temps !, peste Azedine. A croire que les flics n’ont rien d’autre à faire ! Si on ne peut pas consommer, dans ce cas-là autant interdire l’alcool pour tout le monde. » Laurent, litron de vin en bandoulière, à la rue pendant de nombreuses années, est affirmatif : « Il faudrait que l’alcool soit moins tabou dans les accueils de jour, sinon les mecs restent dehors et se font péter la gueule ! » Il vit désormais aux Prytanes (habitat alternatif social), un lieu qui accepte la consommation d’alcool dans ses murs. Chose rare puisque, la plupart du temps, il faut avoir vidé sa bière avant de passer la porte des lieux d’accueil.
« Les personnes se mettent vraiment en danger en consommant à l’extérieur, note Emmanuelle Latourte, chargée de projet social. Pouvoir boire dans un lieu, ça permet de ne plus se cacher, de ne plus avoir honte, ça permet d’être en lien aussi. Et quand on accompagne des gens en grande précarité, c’est important d’être ensemble. » L’association Santé !, où elle travaille, promeut le développement de la réduction des risques en alcoologie. Elle part du constat que l’abstinence ne peut pas fonctionner pour tout le monde et que d’autres alternatives sont à trouver. Emmanuelle Latourte accompagne des équipes de professionnels en difficultés avec l’usage d’alcool des personnes qu’ils reçoivent. Le but est de former au mieux les accueillants pour, à terme, lever l’interdit. Ces actions sont soutenues par l’ARS (Agence régionale de santé). L’association Asud et l’UHU de La Madrague sont actuellement dans cette démarche.
Santé ! intervient aussi au niveau social et médical à travers des suivis individuels et des dialogues bistrotiers. Dans leurs nouveaux locaux du 5ème arrondissement de Marseille, l’équipe a recréé un espace bar avec un comptoir. « Le bistrot est porteur de lien pour les personnes isolées », explique Emmanuelle Latourte. Jusqu’à maintenant, seuls les alcooliques anonymes sont représentés, pas les usagers actifs. « Il s’agit de recueillir les besoins afin que ces personnes-là prennent la parole pour être reconnues au niveau des démocraties sanitaires, poursuit la chargée de projet. L’objectif est aussi de réfléchir avec eux à d’autres alternatives, à ne pas perdre un boulot ou une famille et à ne pas se faire trop mal. » L’idée c’est que la personne se sente bien afin d’engager l’échange, qu’elle boive un café ou une bière. Et Emmanuelle Latourte de conclure : « Dans les bistrots, il n’y a pas de débordements grâce au savoir faire du barman et à une autorégulation du collectif. Ce sont des lieux de vivre ensemble qui empêchent la désocialisation… »
Samantha Rouchard