There will be blood (1)
Du côté de l’or noir, ça sent le gaz. Montebourg, le ministre ès « redressement », ne s’y est pas trompé : après les Fralib, il s’est rendu à Berre (13), à la raffinerie de LyonDellBasell mise « sous cocon » depuis que son propriétaire a décidé de jeter l’éponge. Si, cet été, un repreneur se serait manifesté, depuis, rien de neuf, la moitié des 300 salariés étant déjà partie dans le cadre du plan de sauvegarde de l’emploi. Soupir de Georges Raillon, de la CGT : « Ces dernières années, deux raffineries ont fermé, deux autres se sont arrêtées. Pourtant, la consommation de produits raffinés est restée la même… » Pour Rémi Patron, de la CGC, « si on laisse la pétrochimie aux mains des seuls industriels, la désindustrialisation va se poursuivre. Tout dépend donc de l’Etat et des collectivités. La question des investissements à venir est donc cruciale. Comme celles environnementales. Mais l’urgence, c’est l’emploi ».
Même son de cloche chez Arkema, présent à Fos et Lavéra (13), qui vient de tomber dans l’escarcelle de l’américain Gary Klesch : « Après avoir bataillé contre son arrivée, on a obtenu, de sa part comme d’Arkema, des garanties, s’enorgueillit le responsable CGT, Jean-Marie Michelucci. Certains nous ont reproché de négocier avec celui dont on ne voulait entendre parler. Mais ce n’est pas parce qu’on prend une assurance-vie qu’on a envie de mourir. »
Reste que fin 2011, pour Jacques Pfister, l’annonce de la fermeture de LyonDellBasell n’était « pas une surprise », le patron de la CCI évoquant de « grosses surcapacités de raffinage ». Et l’UPE 13 (le medef local) de jouer la surenchère : « Le raffinage en France et même en Europe, d’ici quelques années, c’est fini. Il va se faire directement sur les lieux de production. Ce qui n’empêche pas les investissements ici. Comme par exemple à Fos avec les terminaux gaziers. » Faux, rétorque la CGT : « Ce qui est nécessaire, c’est une adaptation de l’outil. Car si, en France, on consomme surtout du gazole, ici, on produit avant tout de l’essence. Cherchez l’erreur… » L’écolo Sophie Camard, en charge à la Région des questions économiques, opine du chef : « Du gazole, la France en consomme 40 millions de tonnes et n’en produit que 30. Elle en importe donc pour 13 milliards d’euros alors qu’avec l’essence produite, on ne gagne que 10 milliards d’euros. On perd donc 3 milliards par an. » Or, d’après la CGT, pour adapter l’outil de raffinage (et produire plus propre), il suffirait d’investir à peine plus de deux milliards d’euros, étalés sur dix ans. Mais, pour cela, il faudrait que les multinationales s’entendent…
« Le prix du brut, c’est la spoliation des peuples africains »
Ce qui est redouté, in fine, c’est une disparition du raffinage au profit d’un simple stockage de produits déjà raffinés. « Or, ici, la pétrochimie, c’est 4000 emplois directs. Et un emploi chez nous, c’est cinq emplois induits, assène Jean-Marie Michelucci. Imaginez les conséquences dans la région. » Pour l’ancien « Monsieur pétrole » de la CGT en Paca, « la dimension territoriale est évidente. Jamais le tourisme ou la logistique ne remplaceront la chimie. Ça crée moins d’emplois. Et des emplois moins payés et moins qualifiés ». En revanche, il suit attentivement l’utilisation expérimentale en Espagne d’algues pour produire du carburant : « Si je suis contre les bio-carburants produits à partir de céréales parce que ça consiste à retirer le pain de la bouche de millions de personnes, faire des carburants avec des algues, comme la chimie verte, c’est une piste intéressante. »
C’est l’une des options qu’a soumise Sophie Camard lors de la visite d’Eva Joly à LyonDellBasell aux salariés : « En tant qu’écolo, on défend l’emploi ET l’environnement. Or, si l’on promeut une production plus propre et les énergies renouvelables, très prosaïquement, un site abandonné par un industriel, on sait qu’il est presque impossible à dépolluer. La seule chose qu’on peut y installer, ce sont… des plateformes logistiques. D’ailleurs, vu l’implication dans ce secteur de Marc Reverchon (2), chargé du développement du port, on comprend qu’il n’a aucun intérêt à une reconversion industrielle des sites actuels. De fait, ici, ce ne sont pas les milieux patronaux qui sont les plus farouches défenseurs de l’industrie… »
Alors que les élus locaux, eux, y sont on ne peut plus attentifs. Comme Gaby Charroux, député-maire (PCF) de Martigues (13) : « Sans l’industrie, Martigues ne serait pas ce qu’elle est. Notre devoir est de nous diversifier et d’anticiper, notamment en mettant en valeur nos atouts environnementaux et touristiques. Mais rien ne remplacera les emplois industriels. En tout cas, pas une marina sur l’étang de Berre… Voilà pourquoi on est en dialogue permanent avec les industriels. Même quand ils se plaignent de quelques millions de taxes sur les produits pétroliers le jour où PSA annonce 8000 suppressions d’emplois. »
L’urgence, ici comme ailleurs, c’est l’emploi. Mais, comme le rappelle Sophie Camard, « d’ici quarante ans, il n’y aura plus de pétrole ». Ce que reconnaît Jean-Marie Michelucci : « Dans la chimie, les produits ne sont pas éternels. Chez nous, une molécule chasse l’autre. Et on aimerait tous que nos voitures roulent à l’eau ou à l’air. Maintenant, jusqu’où ira-t-on pour la dernière goutte de pétrole ? Et qu’en fera-t-on ? La mettra-t-on au fond d’un réservoir ou en fera-t-on un gant de chirurgie, un médicament, une voiture électrique ? » Pour lui, derrière, il y a clairement une dimension éthique : « On a beau travailler dans le pétrole, on sait qu’en son nom, on fait la guerre. Que le véritable prix du brut, c’est celui de la spoliation des peuples africains. Quand je siégeais dans le groupe Total, je les avais interpellés sur la Birmanie. Depuis, Aung San Suu Kyi a confirmé que leur attitude à l’égard de la junte soulevait quelques interrogations. Après, ce n’est pas une raison pour avoir honte de nos métiers. Et encore moins pour ne pas les défendre. »
Sébastien Boistel