Terra fecundis exploite ses salariés… et son droit de réponse
L’article « Les damnés de la terre » (le Ravi n°138, mars 2016, lire ci-dessous) a déplu à la société espagnole Terra fecundis qui nous adresse, via ses avocats, un long droit de réponse. Nous publions (également ci-dessous après nottre article) ce texte édifiant tout en réaffirmant le sérieux et la véracité de notre enquête.
Dans notre enquête intitulée « Les damnés de la terre », publiée en mars dernier, nous avons notamment retranscrit de larges extraits du témoignage d’un Espagnol rencontré à plusieurs reprises, Ricardo, ouvrier agricole pendant trois ans auprès de Terra fecundis, société d’intérim espagnole basée en Espagne, employant en France et dans les Bouches-du-Rhône majoritairement des Sud-Américains. Contrairement à ce qu’affirme Terra fecundis, et malheureusement pour Ricardo qui n’a de « prétendu » que ce prénom que nous lui avons choisi, il a bel et bien subi le sort des travailleurs détachés, version Terra fecundis.
Il nous a donc fait le récit de ses conditions de travail impossibles, sans aucun jour de repos, des fiches de paie fictives pour des salaires de misère (entre 4 et 7 euros de l’heure), des sous-déclarations chroniques à la sécurité sociale, des pressions constantes de la part de Terra fecundis et de ses exécutants, des conditions d’hébergement indignes… « Nous étions traités comme des animaux », répète-t-il beaucoup. Notre enquête s’est confrontée à d’autres sources, à de bons connaisseurs du dossier Terra fecundis : syndicalistes de la Confédération paysanne, de la CFDT et de la FNSEA, une chercheuse spécialiste des contrats Ofii, la justice… La direction de Terra fecundis, elle, n’a pas donné suite à nos appels.
Terra fecundis exerce en France depuis une dizaine d’années et n’a jusqu’à présent pas été condamnée pour ces pratiques. Mais ce n’est pas la première fois qu’elle fait l’objet d’articles assassins, notamment du Monde en avril 2015. L’entreprise surfe aussi sur la très grande complexité du statut du travailleur détaché, qui doit être rémunéré selon les standards du pays d’accueil, mais dont les cotisations sociales sont réglées au pays d’origine. Ici l’Espagne.
Le toupet de la société basée à Murcia va jusqu’à tacler la France pour son « incapacité à mettre au travail les chômeurs » (on peut compter sur eux) et même jusqu’à prendre de haut une enquête ouverte, il y a plus d’un an, par le parquet marseillais. Le procureur Brice Robin annonçait d’ailleurs début mars, en nommant clairement Terra fecundis, et de manière assez concomitante avec le travail d’enquête du Ravi, que des magistrats français se déplaceraient pour enquêter en Espagne.
le Ravi n’est pas dupe. La société espagnole utilise ici son droit de réponse, louable dans toutes circonstances, alors que s’ouvre pour elle un bras de fer avec la justice. Faisant de la satire un mantra professionnel, nous aurions pu apprécier ce pamphlet si « plusieurs milliers de personnes », dixit le procureur, n’étaient pas concernées par ses méthodes indignes du respect de l’Homme. Et comme le dit la formule appropriée : « laissons la justice faire son travail. »
Clément Chassot
Les damnés de la terre
A l’heure du libéralisme européen débridé, certaines entreprises perdurent sur l’exploitation de travailleurs étrangers. C’est le cas de Terra Fecundis, basée en Espagne et qui opère dans la région. Témoignage d’un homme « traité comme un animal ». [Article paru en mars 2016 dans le Ravi n°140, daté mars 2016]
Ricardo (1) est espagnol et il a la quarantaine. Après une aventure sud américaine qui s’est terminée par une arnaque bancaire, il décide en 2012 de se lancer dans le travail agricole. Dans un pays terrassé par la crise et le chômage, les boites d’intérim, qui profitent du statut de travailleur détaché pour essaimer en Europe, ont la côte. C’est le cas de Terra Fecundis (2), une société basée à Murcie dans le sud de l ‘Espagne, spécialisée depuis le début des années 2000 dans l’embauche de Sud américain, essentiellement des Equatoriens et Colombiens, venant suer dans les champs du sud de la France. Selon les éléments déclaratifs de la société transmis à la Direccte (3), ils étaient en 2014 un peu moins de 5000 travailleurs détachés rien que dans le département des Bouches-du-Rhône, surtout répartis dans la Plaine de la Crau et le nord du département. Environ 20 % de la main d’œuvre totale.
Ces intérimaires de la terre remplacent en fait peu à peu les contrats saisonniers OFII, anciennement OMI, calibrés pour les travailleurs immigrés, essentiellement venus du Maghreb. « Les salariés détachés Terra Fecundis sont passés de 783 en 2008 à 2318 en 2013, explique Béatrice Mesini, chercheuse qui suit ces questions à la MMSH (4) à Aix-en-Provence. Dans le même temps, les contrats OFII passaient de 3463 à 1897. Cette évolution tient à la libéralisation des services en Europe mais aussi parce que les agriculteurs ont les mains libres. Ils ne sont pas obligés d’embaucher des travailleurs pour 4 mois ou plus et peuvent surtout s’en séparer facilement. »
Esclavagisme
Le système Terra Fecundis est avant tout fait pour arranger les exploitants agricoles : un seul lien avec l’entreprise d’intérim et donc pas de paperasse ou presque. Ils sont facturés pour un employé environ 13 euros de l’heure. « C’est grosso modo ce que je paie pour une embauche au Smic », explique Frédéric Bertorello, de la Confédération paysanne des Bouches-du-Rhône. Ce serait environ 20 euros en passant par une société d’intérim française. Le tout pour une main d’œuvre de bonne qualité, malléable à merci et qui, tout de même, est mieux payée qu’au pays.
Ricardo, notre Espagnol, se plaît en France mais il « ne comprend pas comment la 5ème puissance mondiale peut accepter cela ». Cela ce sont des conditions de travail dignes du Moyen-Age, qu’il décrit comme proches de l’esclavagisme moderne : « 10 à 14 heures de travail par jour, tous les jours en été, sans pouvoir même se lever pour boire un coup, s’indigne-t-il un soir de novembre, en rentrant des champs. Le tout pour être payé entre 4 et 7 euros de l’heure. Impossible d’être malade, vous êtes de suite renvoyé par bus en Espagne. » La législation impose aux employeurs des travailleurs détachés de payer selon les standards nationaux et de régler les charges sociales dans le pays d’origine. Ricardo explique comment, à coups de fausses fiches de paie et d’avances en liquide qui ne sont jamais honorées, Terra Fecundis parvient à s’enrichir sur son dos. Il présente également une feuille de cotisations auprès de la sécu espagnole : elle indique qu’il n’a cotisé qu’entre 8 et 15 jours par mois… en travaillant tous les jours. « Des sous-déclarations chroniques », précise Béatrice Masini.
Enquête en cours
Ricardo a maintenant quitté Terra Fecundis après trois ans de labeur. Il a longtemps été logé dans un camping à Noves (13). « Nous étions traités comme des animaux, il y avait jusqu’à 200 personnes logées là-bas, à 7 ou 8 dans un mobil home, parfois entassés à 20, raconte-t-il placidement. J’ai vu des gens dormir dans des containers ou des placards. » Il évoque aussi le trafic de drogue grâce à de la marchandise venu d’Espagne et pire, la prostitution organisée par des petits « capos » locaux. Des capos qui n’hésitent pas à prendre 300 ou 400 euros pour vous orienter dans une exploitation « moins dure ». Des faits qu’il a décrit dans une lettre adressée au juge d’instruction marseillais en charge d’une enquête, entre autres pour travail dissimulé, depuis 2014. Et si le parquet marseillais ne souhaite pas communiquer sur l’affaire, l’enquête semble avoir récemment avancé.
Une instruction longue, entravée part la difficulté de faire travailler les services à la fois français et espagnols et une législation européenne floue concernant les travailleurs détachés. Béatrice Mesini rappelle que même si des contrôles de l’Inspection du travail ont été faits, ils restent rares dans le milieu agricole. Un statut quo que ne renie par le syndicat agricole majoritaire en France, la FNSEA. « Si Terra Fecundis et ces 5000 travailleurs disparaissaient demain, ce serait une catastrophe pour les agriculteurs qui n’auraient plus de main d’œuvre disponible », explique-t-on à la section des Bouches-du-Rhône. « Ils ont créé un monstre, tranche Jean-Yves Constantin, de la CFDT des Bouches-du-Rhône, fin connaisseur du sujet. Ils ont cassé le marché du travail grâce à cette main d’œuvre jetable. Le système se mord la queue et il existe donc beaucoup de questionnements dans le milieu. » Mais jusqu’ici, tout va bien…
Clément Chassot
1. Le prénom a été changé.
2. Contacté, la direction de Terra Fecundis n’a pas donné suite.
3. L’inspection du travail qui ne souhaite pas communiquer sur le sujet.
4. Maison méditerranéenne des sciences de l’homme, www.mmsh.univ-aix.fr
Droit de réponse exercé par la société Terra Fecundis
Ndlr Nous avons conservé les intertitres de la société espagnole, sa ponctuation (vous apprécierez l’usage martelé des points d’exclamation), les fautes d’orthographes et le « monsieur Chessot » pour désigner Clément Chassot, le journaliste du Ravi.
Dans son édition de mars 2016, n°138, le Ravi publiait « Les damnés de la terre », sous-titré « l’exploitation de travailleurs étrangers » par Terra Fecundis, basé en Espagne, accusé par un prétendu salarié, mis en scène sous le pseudonyme « Ricardo » d’avoir sous le statut de travailleur détaché été traité comme un animal et, par l’exploitant agricole français, réduit en esclavage, logé dans un camping et payé au tarif du smic français, soit près de 15 euros l’heure, soumis à des capos qui auraient organisé la prostitution ; et, se plaint, de même, de la lenteur de la justice paralysée par l’Europe qui aurait fait fi de sa plainte déposée en 2014 ; ensemble de faits qu’il impute à son ancien employeur Terra Fecundis. Et face à ces graves accusations, monsieur Francisco Lopez entend rétablir la vérité propre à éclairer le lecteur.
Qui est « Terra Fecundis Ett » ?
Société de travail temporaire, basée à Murcia, Terra Fecundis, est honorablement connue en Espagne ; elle y emploie au siège social près de 70 salariés permanents qui veillent à la gestion et au bien-être de plus de 5000 ouvriers agricoles lesquels travaillent, après déclaration de détachement adressée à la direction du travail, auprès des exploitants agricoles qui font appel à ses services depuis plus de dix années et, à ce titre, Terra Fecundis participe, économiquement, au cycle de production agricole en répondant aux demandes des agriculteurs français désemparés sur les disfonctionnements de l’Etat français ; sur son incapacité à mettre au travail les chômeurs. Elle est reconnue et appréciée par ses clients pour son savoir-faire et sa rigueur.
Terra Fecundis, depuis plus de dix années, satisfait en Espagne à toutes ses obligations fiscales et sociales ; de même, elle respecte le droit du travail français pour le bien-être des ouvriers agricoles détachés en France dans les exploitations agricoles qui font appel à ses services ; elle ne doit rien à la France qui d’ailleurs ne lui réclame rien ; plus de 300 contrôles effectués par les autorités administratives et policières françaises et aucune infraction n’a jamais été relevée contre Terra Fecundis !
Les salariés détachés !
Chaque salarié mis à disposition d’une exploitation agricole, payé 1400 €, bénéficie des mêmes droits que les ouvriers agricoles français dont le respect est soumis au contrôle des exploitants agricoles : ainsi du temps de travail et celui du repos ; de même des conditions d’hébergement … Alors !!!
Titrer que les salariés détachés sont les nouveaux esclaves du XXIème siècle et assimiler les conditions de travail soumises au contrôle des inspecteurs français, à ceux de la « traite » relève pour le moins de la légèreté de la pensée ; et ne pourrait qu’appeler le sourire si elle n’outrageait pas tous les esclaves de la Terre ; et, si monsieur Chessot entendait raconter une histoire aux « Ravis », n’est-ce pas avec mépris qu’il pense pouvoir cacher au lecteur du « Ravi » que le statut de salarié détaché est plus protecteur que celui du salarié permanent.
Le brave Ricardo lié par un contrat de travail avec Terra Fecundis, payé 13€, selon ses dires, à peu près, le double du taux horaire espagnol, indique, sans peur du ridicule, être payé entre 4 et 7 euros l’heure ; Ricardo dit avoir été malade et critique le fait d’avoir été conduit immédiatement en Espagne comme stipulé sur le contrat de travail qui contraint Terra Fecundis au rapatriement en Espagne pour une prise en charge par les services de santé Espagnols ? C’est l’oublier que de s’en plaindre ! Ricardo évoque ses conditions de vie : logé à « 20 » (sic !) dans un mobil home loué par l’exploitant agricole dans un camping, sans s’en plaindre à quiconque, pas moins auprès de l’agriculteur qui le faisait travailler ? Soumis à des capos qui organisaient prostitution et trafic de drogue ? Mais là aussi, peut-être a-t-il oublié de se plaindre auprès du propriétaire du camping ? Et, il ne lui serait pas venu à l’esprit d’informer son employeur espagnol qui n’aurait pas manqué de saisir les autorités de police qui doivent protection, aide, assistance et répression.
La Cgt n’aurait-elle pas veillée ? Se serait-elle rendue complice en n’agissant pas devant le juge ? Mais, comme tout honnête homme, le lecteur appréciera ! et, sourira !!!!
Des enquêtes ?
Les rumeurs courent ; d’autant plus que les lavandières ne sont plus au lavoir ! Mais, désormais, dans les arrières salles des Palais et celles de la presse. Terra Fecundis n’a, à ce jour, jamais été avisée de l’existence d’enquêtes !
Il est vrai qu’un Procureur à Marseille a cru devoir l’affirmer ; depuis 18 mois, a-t-il indiqué, une enquête tente d’identifier auteurs et responsables,
– d’une fraude fiscale et sociale ? Mais Terra Fecundis ne doit rien à la France qui d’ailleurs ne lui réclame rien !
– celle d’une fraude au droit du travail ? Mais, face à la réalité de dix années d’activité en France et de plus de 300 contrôles effectués en vain chez les agriculteurs, quiconque ne s’interrogerait pas, tout simplement, sur le respect par Terra Fecundis de toutes les règles du droit français, manquerait à sa qualité d’Homme-pensant.
Alors ! Semble-t-il des enquêtes sont en cours ; Terra Fecundis est sereine ; la France l’est moins ; à la recherche d’un bouc émissaire ; après les plombiers polonais, elle croit avoir trouvé les travailleurs venant d’Espagne ; la cause des problèmes français est ailleurs. Des enquêtes se poursuivent donc à la recherche… de l’histoire à raconter aux « Ravis » : syndicats français, confédérations paysannes, Fisc et Caisses sociales … tous alléchés … par la manne !
Francisco Lopez (Terra Fecundis)