Squat : lutte des classes et classifications
Mass medias et politiques présentent les squatteurs comme des citoyens nocifs. Ils assimilent occupation de bâtiments vides et violation de propriété et considèrent le squat comme une grave infraction. Des groupes sociaux particuliers sont ainsi criminalisés : sans-abris, promoteurs d’activités sociales, activistes politiques. En revanche, le courant dominant semble ignorer les pratiques spéculatives des propriétaires et l’impact de l’abandon des bâtiments sur la dynamique urbaine.
Plusieurs raisons à cela. D’abord, la croyance dans la primauté de la propriété privée, conférant aux propriétaires des pouvoirs presque absolus, en dépit des limitations juridiques en vigueur. Mais c’est avant tout le revanchisme des élites urbaines contre les pauvres, les immigrés, les minorités et les jeunes activistes qui est à l’œuvre. Tous sont perçus comme marginaux, déviants, indésirables. Un état d’esprit assorti d’un discours disproportionné décrivant les squatteurs qui résistent activement à leur éviction comme violents, ingérables et même acteurs d’un terrorisme de basse intensité.
Les attaques contre les squatteurs peuvent prendre la forme de catégorisations clivantes. Plus les squatteurs ont recours à la violence dans leurs protestations, ou en sont accusés, plus on les classe parmi les « mauvais » squatteurs. La volonté de négocier et d’atteindre un accord avec les propriétaires et les autorités judiciaires détermine une deuxième ligne de démarcation entre « bons » (ouverts au dialogue) et « mauvais » squatteurs. Un troisième clivage repose sur l’image que le public perçoit des squatteurs : leurs looks, leurs discours, leur mode de vie, leurs identités sexuelles et de genre ou leur disposition à intervenir dans les mass médias. Discipline sociale, normalisation, intégration et stigmatisation sont autant d’armes au service d’une violence symbolique utilisée contre un groupe intrinsèquement divers, avec le but de saper son influence politique.
Ces classifications biaisées peuvent être défaites en faisant appel à des stratégies de légitimation nuancées, dans une perspective anti-capitaliste. Ainsi, le squat peut être positif pour la société quand il répond aux besoins des groupes exclus du marché de l’immobilier et des politiques du logement. Par contre, en tant que forme de lutte des classes, le squat ne devrait pas générer des profits en accueillant des activités capitalistes (commerces, locations immobilières). Par ailleurs, la contribution à la communauté implique que les squatteurs s’engagent dans la vie de la cité au lieu de se ghettoïser ou d’être à l’origine de nuisances. Enfin, dans une démarche de démocratisation directe et locale, les squatteurs peuvent aider à dévoiler les spéculations, la gentrification et les privatisations en cours. Et ils s’opposent aux squatteurs d’extrême droite qui s’attaquent violemment aux sans-abris, aux LGBT, aux étrangers et aux activistes de la gauche libertaire.
Texte traduit de l’espagnol par Clément Champiat
Reportage publié dans le Ravi n°144, daté d’octobre 2016
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