Sous le raisin, le parpaing
« Les raisins de l’audace », annonce le site internet du domaine de La Gordonne à Pierrefeu (83), propriété du groupe Vranken-Pommery Monopole. Pommery comme le champagne. L’une des plus grandes propriétés de France et l’une des plus grandes fortunes aussi. Oui, mais voilà, ce domaine comme une trentaine d’autres dans le Var, fait partie d’une liste établie conjointement par l’Union départementale pour la sauvegarde de la vie, de la nature et de l’environnement (UDVN 83), l’association Environnement Méditerranée ainsi que par Erik Tamburi (DLF), élu d’opposition à Six-Fours, spécialiste des scandales des déchets du BTP (1). Elle regroupe des vignobles, AOC et bio pour certains, qui abriteraient des déchets du BTP sous leur terre. Pourtant le cahier des charges des vins classés en AOC est très strict : le terroir ne doit pas être trafiqué ni comporter aucune terre exogène. « Le rosé Côte de Provence est sur les tables du monde entier et on prend le risque de torpiller cette Appellation d’origine contrôlée pour une petite bande de voyous ?, s’insurge Erik Tamburi. Il faut les mettre hors d’état de nuire ! »
Par une chaude journée d’été, nous décidâmes donc d’aller nous promener dans la campagne varoise. Passant non loin de La Gordonne, on aperçoit une énorme montagne de plusieurs mètres de haut. Du déchet organique, à première vue, camouflant maladroitement des déchets qui le sont moins : plaques de béton, parpaings et autres plaques de goudron. La parcelle n’est pas plantée mais se situe à proximité d’un ruisseau et au pied de vignes classées en AOC.
« Il s’agit d’une zone de compostage avec des déchets verts, sans engrais chimique, on a choisi depuis longtemps la voie la plus organique et on est en train de passer en bio », nous explique Bruno Mailliard, maître de chai à La Gordonne. Pour lui, pas de déchets du BTP là-dessous. « Mais si ça date d’il y a 20 ans, je n’ai aucun moyen de le savoir… », note-t-il. En cas de pluie, le lessivage peut toucher les vignes AOC, même si notre interlocuteur « ne voit pas comment ». Le domaine est pourtant en train de s’équiper de tout un système d’évacuation d’eaux de pluie notamment à proximité de la parcelle concernée. Et le maître de chai de conclure pour montrer sa bonne foi : « Moi je ne boirais pas des vins qui ont poussé sur des déchets en tout cas ! » Robert Durand, président de l’association Environnement Méditerranée, qui est aussi ingénieur en environnement, tient de son côté à préciser que « le compost se fait sur une aire étanche et des terrains horizontaux, en aucun cas sur des déchets du BTP ! »
Rien ne se perd…
L’UDVN s’interroge du coup sur des restanques plus anciennes qui elles sont plantées. Alertée au départ par des riverains inquiets de voir « la forêt recouverte d’une poussière blanche », liée au passage de camions du BTP « parfois même de nuit ». Une enquête de la Dreal (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) est actuellement en cours sur ce domaine.
Dans le collimateur de l’UDVN, on trouve aussi le domaine Vaucouleurs à Puget-sur-Argens épinglé par la Dreal pour des remblais de terre extérieure mais qui continue d’afficher sur son site sa conversion en bio. L’association Environnement Méditerranée a déposé également plainte contre Le Domaine Souviou au Beausset qui aurait accueilli 20 000 m3 de déchets contaminés du chantier de la Loubière à Toulon. Le domaine de l’Aumérade à Pierrefeu-du-Var aurait, quant à lui, recueilli 287 000 tonnes de déblais provenant du chantier du tunnel de Toulon en 2008, espace non replanté pour l’instant. Erik Tamburi a, pour sa part, écrit au parquet concernant le domaine de La Rouillère à Ramatuelle sur lequel il a constaté des hectares de déchets. C’est sur ce même site qu’il a pisté, en 2013, les allers-retours de camions qui appartiendraient à l’entreprise du BTP Barbero. Barbero, pourtant associé notamment dans l’Ecopole avec le président de la Fédération du BTP du Var qui dans Var-matin (3 mai 2016) dénonce quant à lui les déballes. Certaines amitiés sont compliquées…
Mais la parcelle de 8000 m2 – minuscule comparée aux grands domaines cités précédemment – qui a déjà fait scandale est celle située sur le domaine de La Tulipe noire (La Crau-Carqueiranne). Estampillé bio, en bordure d’un bois classé qui abritait une décharge sauvage en 2005. Le domaine appartient à Alain Baccino, président (FDSEA) de la Chambre d’agriculture du Var (2). Il y a planté de jeunes ceps de vigne, avant de se faire épingler et de finalement les arracher pour soi-disant faire analyser la parcelle, justifie-t-il dans Var-matin, arguant avoir été trompé par l’ancien propriétaire… Dans sa balade varoise, le Ravi a pu pourtant constater sur place la présence de tuyaux, parpaings et goudron, sans avoir besoin d’être expert…
Tout se transforme !
« Chez les Baccino on est attiré par les déchets », ironise Erik Tamburi faisant référence à Véronique Baccino, épouse d’Alain et conseillère départementale (LR) du Var, élue en binôme avec Bruno Aycard, maire de Belgentier condamné à 10 000 euros d’amende pour avoir accueilli des déchets du BTP en zone Natura 2000 ! (1). Depuis, Alain Baccino se fait discret et les commissions de la chambre d’agriculture ont été annulées.
Ces deux dernières années, 28 sites ont été contrôlés par la Dreal avec un constat dans la plupart des cas de non-conformité au cahier des charges de l’appellation Côtes de Provence. Le syndicat des Côtes de Provence n’a pas donné suite à notre demande d’entretien. Du côté de l’AOC Bandol dont certains domaines font partie de la liste, le président Guillaume Tari est très clair : « S’il y a tromperie, Il faut que la dé-classification se fasse rapidement pour que ça serve d’exemple. » Du côté de l’Inao (Institut national de l’origine et de la qualité dont Baccino aimerait bien prendre la tête), on nous explique que dans les faits une dé-classification peut prendre au minimum une année, qu’elle ne se fait jamais sur un domaine en entier mais sur une parcelle et pour un laps de temps donné, le temps de remettre en conformité…
Pas de quoi empêcher le vigneron peu scrupuleux de dormir la nuit ! Pas de quoi non plus affoler en plus haut lieu : « Si ce sont des déchets inertes propres qui viennent peut-être du terrain d’à côté, ma foi, je ne vois pas en quoi ça peut gêner », note Jean Bacci, conseiller régional LR, vice-président de la commission « agriculture, viticulture et ruralité », qui avoue ne s’être pas vraiment intéressé au sujet pour l’instant. « C’est au procureur de faire son boulot et de s’autosaisir », proteste Jean-Laurent Félizia, secrétaire d’EELV Var.
« Les viticulteurs dominent totalement la chambre d’agriculture, explique Ramon Lopez, président de l’UDVN 83. Et ceux qui ont des terres aux alentours des agglomérations veulent qu’elles deviennent constructibles. » Mais pour maintenir les zones agricoles dans leurs PLU, les maires poussent à faire des vignes où il n’y en avait pas, dans les collines, que les viticulteurs doivent démolir au bulldozer et que les déchets du BTP viennent remblayer. « A cause de la pression foncière qu’exerce "le tout pouvoir du vin spectacle" dans le Var, cela empêche tout autre forme de petits exploitants de s’installer, explique Jean-Laurent Félizia. Et d’ironiser : « Si un jour dans le Var on meurt de faim, on ne mourra pas de soif ! » Il est des nôtres, il a bu son gravât comme les autres !
Samantha Rouchard
Enquête publiée en septembre 2016 dans le Ravi n°143