Soupçons de favoritisme au CG13
C’est une coquille d’un sous-fifre du Conseil général des Bouches-du-Rhône qui a révélé le pot aux roses. Chargé de rédiger l’estimation de prix d’un marché public de rénovation des collèges du département, un document confidentiel à l’aune duquel sont sélectionnées les entreprises candidates, un cabinet indépendant fait en 2010 une erreur de frappe. Voilà le prix du mètre carré de vitrage bradé à un euro, tout comme celui du mètre carré de teinte aluminium. Etonnamment, deux des entreprises de BTP candidates reprennent texto ces prix totalement irréalistes dans leur offre.
Un exemple parmi de nombreux autres, relevés début 2011 par des agents du Conseil général, qui montre que certaines entreprises ont vraisemblablement eu accès aux estimations de prix du maître d’ouvrage, faussant ainsi les marchés. Au vu de ce tableau explosif dressé en avril 2011 par ses services, Jean-Noël Guérini, le président PS du Conseil général, ne peut qu’alerter le procureur de Marseille sur de graves soupçons de favoritisme. Une procédure qui n’est curieusement pas remontée jusqu’aux oreilles des élus.
Mais la justice, tout comme le Conseil général, semble avoir décidé qu’il était urgent de ne rien faire. Contacté, le procureur de la République de Marseille dit ne plus se souvenir de la plainte, et encore moins de ses suites judiciaires. Seuls quelques marchés manifestement entachés de favoritisme ont été annulés, ce qui n’a pas empêché les entreprises soupçonnées de remporter d’autres appels d’offre similaires et de continuer à travailler pour le Conseil général. Dans son offre de 2009, une entreprise propose des prix dont l’écart avec les estimations du maître d’ouvrage (qu’elle n’est pas censée connaître) est systématiquement le même, pile dans la fourchette demandée par le Conseil général. Constaté sur plusieurs centaines de prix, cet exploit n’a cependant provoqué aucune réaction du Conseil général qui a gardé sans broncher ce fournisseur très bien informé.
Marchés très appréciés
Ces soupçons portent tous sur des marchés à bons de commande (MBC), une technique d’achat public pratique en cas de travaux urgents mais également très coûteuse, dont le Conseil général use et abuse pour la maintenance de ses 500 bâtiments. Contrairement aux marchés globaux à prix forfaitaire, il est impossible de connaître le coût des marchés à bons de commande lors de leur attribution. C’est au fil des besoins de la collectivité que les bons de commande sont exécutés. Ces marchés sont normalement réservés aux cas où les pouvoirs publics ne peuvent pas anticiper la survenance du besoin et les quantités nécessaires. Par exemple dans le domaine du bâtiment, pour des urgences : dépannage d’une chaufferie, réparation d’une fuite d’eau, etc. Ils sont surtout très appréciés des élus et directeurs d’établissements du fait de leur réactivité. Au CG13 comme ailleurs.
Mais selon un audit réalisé en janvier 2012 par un cabinet parisien, le Conseil général fait un usage très excessif de ces marchés en les utilisant pour des « opérations programmées » ainsi que « des travaux […] qui relèvent davantage de la réparation lourde, voire de la réhabilitation ou de la construction, soit de dépenses d’investissement plus que de fonctionnement ». Le remplacement des systèmes incendie des collèges, dont l’obsolescence est pourtant prévisible, passe ainsi systématiquement par des marchés à bons de commande. Et systématiquement depuis dix ans, c’est également la même entreprise (Sphinx), par ailleurs soupçonnée d’avoir bénéficié de favoritisme, qui les remporte. Et se goinfre : 6 millions d’euros entre 2003 et 2011 selon l’audit.
Il y a en effet des affaires à faire sur la maintenance des bâtiments du CG13. L’ardoise annuelle s’élève à près de 40 millions d’euros. Mais, selon un document interne à la collectivité, « la pratique démontre que les urgences représentent pour une année (…) moins de 5 % de son budget ». Mieux ! Selon le même document, le choix d’une mise en concurrence par des marchés à procédure adaptée (Mapa), ou marchés forfaitaires, « étendue à l’ensemble des travaux programmables, permettrait de manière évidente de générer une économie de 5 millions à 10 millions d’euros ». Les exemples d’économies possibles ne manquent pas. La facture de la piste d’athlétisme d’un collège a ainsi fondu de 60 000 euros à 17 000 euros en passant d’un marché à bons de commande à un Mapa !
Un toit au prix d’une villa !
Une différence (en partie) justifiée par une des spécificités des MBC : l’incertitude des quantités commandées. Pour s’y retrouver, les entreprises proposent des prix moins intéressants que sur les marchés forfaitaires. Exemple : en toute légalité, une toiture et un faux plafond de 450 m2 ont été facturés 250 000 euros au CG13. « Avec [cette somme], on construit une belle villa de 250 m2 ! », s’étrangle un technicien. Pour éviter ce genre de mauvaises surprises, le Conseil général de la Côte-d’Or a de son côté fait le choix de limiter ses marchés à bons de commande. Le Conseil général du Var a, lui, adopté une autre stratégie : l’embauche de surveillants de travaux qui vérifient sur le terrain les quantités facturées par les entreprises. Une expertise dont se passe le service des bâtiments du CG13. Résultat, le département du Var dispose du même nombre d’agents que celui des Bouches-du-Rhône pour gérer moitié moins de collèges.
L’absence de contrôle est cependant loin d’être la seule défaillance du CG13. Tout au long de ses 81 pages, l’audit de janvier 2012 pointe des dysfonctionnements plus ou moins curieux dans les services en charge de la maintenance des bâtiments départementaux : quelques entreprises historiques qui définissent les besoins de la collectivité, une « fidélité » très forte de cette dernière réduisant d’autant la concurrence, des soupçons d’entente et de favoritisme, le manque de compétences, l’inexistence de service dédié aux marchés publics, la sur-utilisation des avenants sur les marchés en cours, etc.. Une manière très pudique de s’interroger sur la sincérité de la concurrence et une possible organisation de l’incompétence du service ?
Surfacturations
Certains agents l’ont fait. A leurs dépens. Lorsqu’ils ont tenté de remettre de l’ordre et dénoncé des facturations plus que curieuses – une porte coupe-feu facturée trois fois les prix fournisseur ou la facturation de prestations non comprises dans le marché par exemple -, les entreprises n’ont pas vraiment apprécié l’initiative. La fédération du bâtiment des Bouches-du-Rhône a protesté auprès du directeur de la construction, de l’environnement, de l’éducation et du patrimoine, Gérard Lafont, depuis passé à la tête de 13 Habitat, bras armé du Département en matière de logement social et cœur du système clientéliste mis à jour par l’instruction du juge Duchaine (le Ravi n°98). Selon nos informations, Gérard Lafont a menacé en février 2011 de déplacer les agents qui avaient remis en cause l’usage des MBC et leur a imposé de continuer à travailler exclusivement en marchés à bons de commande.
C’est certainement une coïncidence si le président de la fédération du BTP 13 n’est autre que le PDG de Climatech, une maison spécialisée dans les travaux d’installation thermique et de climatisation particulièrement appréciée du CG13. Entre 2003 et 2011, elle a été la principale bénéficiaire de ses MBC avec 17 marchés pour un montant total de 7,4 millions d’euros.
Aux dernières nouvelles, si une mission de conseil est en cours, à part quelques petits aménagements dans la passation des MBC initiés au début de l’audit et l’exfiltration de Gérard Lafont, rien n’a changé.
Louise Fessard (Mediapart) et Jean-François Poupelin (le Ravi)