« Soignez-vous ! Prenez des petites pilules ! »
9h58
Le Ravi s’installe avec délectation, ce 23 septembre 2016, à la petite table de presse de la salle du conseil de la municipalité d’Orange. Le théâtre, c’est toujours du plaisir.
10h00
L’aréopage ressemble plus à un service gériatrique qu’à une assemblée municipale. Cette séance tombe une semaine avant le premier tour de l’élection cantonale partielle : en mars 2015, dans un duel au sommet, le binôme d’extrême droite Yann Bompard (l’un des deux fistons du maire) / Marie-Thérèse Galmard – par ailleurs adjointe aux affaires sociales – était élu au département face au Front national avec 6 voix d’avance. L’élection fut finalement invalidée en juillet dernier par le Conseil d’Etat. Bref, il y a de l’électricité dans l’air. Et l’inscription sur le t-shirt blanc de l’opposante Front de gauche Fabienne Haloui – elle aussi candidate à cette partielle – « Statistiquement, il y a de plus en plus d’étrangers dans le monde », présage une séance animée.
10h06
Marie-Thérèse Galmard, veste noire sur haut blanc et coupe de cheveux empruntée au célèbre groupe de rock Kiss, prend la parole. Elle « informe » l’assemblée de la mise en place d’une mutuelle de santé communale, suivant les pas de la petite commune de Caumont-sur-Durance, qui en a eu l’idée en 2013 (Cf le Ravi n°114). Fabienne Haloui demande la parole : « Je suis ravie, monsieur le maire, de vous voir rallier les propositions du Front de gauche ! Malheureusement ce n’est que de la propagande électorale à quelques jours d’une élection. » Alors que l’élue Divers gauche Christine Badinier en rajoute une couche et que le « Républicain », très premier de la classe, Gilles Laroyenne parle « d’atteinte au principe de concurrence », Fabienne Haloui tente de reprendre la parole. Jacques Bompard, crâne rasé et sourire carnassier : « Vous avez parlé, taisez-vous ! » Haloui : « Le règlement intérieur me permet de prendre la parole deux fois. » « Mais vous avez compris qu’il faut vous taire ? Vous êtes malade ! C’est moi qui ai la parole, vous n’êtes pas une élue responsable. » Guillaume Bompard, l’autre fiston, crâne rasé et chemise bleue, quitte la salle du conseil en se tapant le ventre devant l’élue Front de gauche, se moquant avec grande classe de son léger embonpoint : « Va courir un peu ! » Ça commence très bien.
10h20
Après trois premiers dossiers sans piment, vient une délibération concernant la rétrocession d’un fonds de commerce sur le boulevard Daladier. Une artère que la mairie souhaite reprendre en main. Trop de nuisances nocturnes selon le maire. « Le centre ville se meurt et votre projet est voué à l’échec, attaque Fabienne Haloui. Certains font du bruit, tout comme les gens qui étaient là avant. » L’élue d’opposition fait ainsi référence aux légionnaires qui ont désormais déménagé. « Je n’ai jamais vu d’attroupements comme j’en vois aujourd’hui, des gens qui fument le narguilé et un stationnement anarchique, répond le député-maire. On ne veut pas de bars louches même s’ils vous plaisent. » Avant de raconter une anecdote succulente : « Un jour en Suisse, j’ai jeté mon paquet de cigarettes par terre. On m’a immédiatement tapé sur l’épaule pour que je le ramasse. Je fais attention maintenant. Mais aujourd’hui, amusez-vous à faire une remarque à quelqu’un qui jette son mégot dans la rue… Nous voulons changer tout ça ! »
10h26
Gérald Testanière, l’adjoint à la sécurité, reprend le flambeau, et de quelle manière : « Les légionnaires et ces personnes n’ont rien à voir ! Les gens, avant, se sentaient en sécurité. Maintenant, non. Tous ces jeunes, avec des voitures qui coûtent cher et qui ne travaillent pas… »
10h37
La délibération n°5 concerne un avenant à une convention passée avec la communauté de communes sur une Opération programmée d’amélioration de l’habitat (OPAH). Le logement social et ce qu’il recouvre est bien sûr un sujet explosif à Orange. C’est le moment que choisit Fabienne Haloui pour offrir au député-maire un exemplaire de son t-shirt, le mettant en face de sa rhétorique fidèle à la théorie du « grand remplacement », lui qui voudrait retrouver de « la mixité dans ces quartiers HLM ». « Vous montez les gens les uns contre les autres monsieur le maire. Il existe une thérapie : portez ce t-shirt. » Jacques Bompard se contente de la remercier en lui donnant « un blâme ». L’opposante s’appuie aussi sur un tract de campagne du binôme élu au Conseil départemental où il est écrit : « Nous voulons que les HLM soient réaménagés et que nous ayons un droit de regard. […] C’est à la réhabilitation des Français de souche qu’il faut procéder […] »
10h43
Bompard reprend la parole : « Je m’attendais à ce qu’on m’accuse (…) mais je vois ici une diatribe maladive d’une opposante. Je suis obligé de dire que la loi n’autorise pas à faire de critères selon l’origine… Nous n’avons jamais dit cela. » Haloui tente de lui couper la parole : « Mais c’est pas vrai, soignez-vous, prenez des petites pilules ! » La hard rockeuse Marie-Thérèse Galamard reprend les propos du maire à son compte. Et l’élue Front de gauche d’enfoncer le clou en brandissant le tract en question : « Vous ne savez pas lire ? Pourquoi avoir écrit ça ? » Penaude, l’élue aux affaires sociales tente un : « Ben… parce que… »
10h57
Guillaume Bompard semble invectiver de loin Fabienne Haloui. Qui répond du tac au tac : « Si tu veux la parole, demande-la à ton père ! »
11h00
La délibération 8 concerne le budget annexe du parking souterrain du théâtre antique, déficitaire de 7 000 euros en 2015. Gérald Testanière, l’adjoint à la sécurité, se justifie : « Les gens ne sont pas habitués dans les petites villes aux parkings souterrains. » Le débat s’étend sur le stationnement. Christine Badinier : « A cause des travaux autour du théâtre antique, les voitures se garent devant l’hôpital… là où vous avez organisé hier soir votre apéro saucisson-pinard ! » L’élue divers gauche se réfère à un doux événement de campagne de la Ligue du Sud, emprunté aux identitaires dont la mairie est proche.
11h10
La réhabilitation Anru de l’Aygues, l’un des quartiers les plus défavorisé du département, arrive sur le tapis. Fabienne Haloui se félicite qu’on examine ce projet tout en rappelant qu’il date de 1993 : « Certes, il y a eu une mauvaise gestion du bailleur, Mistral habitat, mais aussi l’entêtement du maire à ne rien faire. Ce ne sont que des études, ça va durer 18 mois. Quand commenceront les travaux ? » Marie-Thérèse Galmard, limpide : « Les études le diront ! » Jacques Bompard intervient : « De notre côté nous avons tenu nos engagements. Le problème c’est la mixité sociale de ce quartier laissé à la mauvaise gestion où on va chercher des tenants de l’APL (Ndlr Aide personnalisée au logement) plutôt que des gens qui travaillent. »
11h17
A la suite d’une énième remarque de la chef de file de l’opposition, Jacques Bompard demande un vote à main levée pour savoir qui est pour l’expulsion de Fabienne Haloui. Toute la majorité est pour mais le maire ne mettra « pas en application la mesure aujourd’hui ». Coup de pression.
11h26
Le conseil étudie l’octroi d’une bourse municipale pour aider les jeunes de la ville à passer le permis de conduire en contrepartie « d’activités d’intérêt général ». Fabienne Haloui – a priori pour – se demande quand même quel sera le profil des bénéficiaires. Et là, Jacques Bompard pète un plomb : « Maintenant, ça suffit, la séance est levée. » Il file s’enfermer dans son bureau.
11h38
Jacques Bompard a une déclaration à faire : il accuse les « socialo-communistes » d’un « coup politique » et d’un blocage démocratique. « Je n’appellerai pas la police cette fois mais il va falloir trouver une solution. J’envoie d’ailleurs une lettre au préfet immédiatement. La séance est reportée. » Avant de repartir dans son bureau, les yeux rougis par la fatigue, il taquine : « J’attends avec curiosité le score de ces même socialo-communistes, leur score à l’élection départementale… » Comme dirait Vargas Llosa : « Dans la civilisation du spectacle, le bouffon est roi. »
Clément Chassot
Article publié dans le Ravi n°144, daté octobre 2016