Smart Estrosi, le montagnard
Le motard Estrosi est aussi grand fan de ski. Voilà peut-être pourquoi l’une des premières mesures concrètes du président de région Les Républicains (LR) vient d’être lancée : le plan régional « Stations de demain », décliné sous le doux slogan « Smart mountain » ou montagnes intelligentes. Un soutien financier aux stations de ski et vallées de montagne pour « développer les équipements structurants (remontées mécaniques et canons à neige, NDLR), les cœurs de stations, le numérique, le tourisme "après-ski" et la rénovation des logements touristiques ». Le tout avec une enveloppe globale de 100 millions d’euros sur 4 ans. L’institution met en avant le poids économique du secteur : 756 millions de recettes et 15 000 emplois, dont 12 000 saisonniers. Mais seuls 50 millions serviront à cofinancer les projets des 17 communautés de communes et 49 stations de ski sélectionnées. L’autre moitié, apportée par l’Etat et des fonds européens, n’est pas encore clairement fléchée. (1)
Forcément une aubaine pour Laurent Thélène, président de la section des Alpes du sud auprès des Domaines skiables de France et directeur de la station de Puy-Saint-Vincent (05). « Les Alpes du Sud souffrent d’un déficit d’investissement majeur et cela peut nuire à terme à la fréquentation », indique-t-il. « Ce plan pour nos stations de montagne est inédit » renchérit Charles-Ange Ginésy, député-maire LR de Péone-Valberg (06) et président de l’Association nationale des maires des stations de montagne. En rappelant que sur la dernière décennie, « seuls 68 millions d’euros ont été investis dans les 68 stations des Alpes du sud », visant le prédécesseur socialiste d’Estrosi, Michel Vauzelle.
Cercle vicieux
Enfumage pour les élus écologistes Pierre Leroy, maire écologiste de Puy-Saint-André (05) et président du Pays du grand briançonnais, et Sophie Camard, ex-présidente de la commission emploi à la région. Selon eux, d’autres dispositifs étaient dédiés à ces territoires et ils pointent la suppression du programme Agir pour la transition énergétique. L’ancien vice-président de Michel Vauzelle, désormais « En marche » avec Macron, Christophe Castaner, député-maire PS de Forcalquier (04) est plus critique : « Nous n’étions pas du tout mobilisés sur les stations de ski mais sur les "espaces valléens". Il faut reconnaître que c’est le seul dossier régional doté de moyens financiers. Mais sa vision est trop court-termiste. Estrosi reste dans le tout ski, sans projection à 10 ou 15 ans. »
La montagne est en première ligne face au réchauffement climatique. Noël dernier, pas ou peu de neige et des températures très douces ne permettaient pas de faire cracher les canons… Les stations sont parfois confrontées à des situations d’endettement critiques, la faute à de lourds investissements. Au début de l’année 2016, la chambre régionale des comptes rappelait les difficultés de la station des Orres (05) après un plan de relance de l’activité commencé en 2008. « Nous faisons tout ce qu’on peut pour redresser la station », réagit Xavier Corne, le directeur, ravi de ce plan qui lui permettra de financer à hauteur de 30 à 40 % des « projets structurants ». Fuite en avant pour un secteur qui semble devoir se réinventer radicalement ? « Smart mountain » prévoit bien des aides à la diversification d’activités, notamment pour l’été, mais c’est loin de demeurer la priorité.
Coup de pub
Pour Xavier Corne, il ne faut pas mettre toutes les stations dans le même panier : « Au-delà de 1500 mètres, les domaines sont quand même faiblement impactés. Et il faut donc pouvoir les entretenir. En dessous, c’est vrai, cela peut poser problème et ces stations doivent réfléchir à une autre forme de développement. Mais aujourd’hui personne n’a vraiment de solutions. » Chez Charles-Ange Ginésy, on sent poindre une petite dose de mauvaise foi : s’il reconnait que le changement climatique est une réalité incontestée, il affirme « qu’il n’impacte pas les stations, la fréquentation reste stable ». Ballot, dans les Alpes du sud, elle a baissé de 7 % selon les Domaines skiables de France (contre 3 % au niveau national). Autre argument pro canons à neige, très gourmands en eau et en énergie : « L’eau qui est utilisée […] est rendue à la nature sans aucune pollution. » Or, l’appel à projet de la région stipule noir sur blanc que les investissements privilégieront les canons sans adjuvants chimiques…
Invité au Forum Smart mountain le 9 décembre aux Orres justement, Pierre Leroy attend d’en savoir plus mais voit pour l’instant « beaucoup d’effet d’annonce, un beau coup de com’ » et ne s’attend pas à assister « à une révolution territoriale ». Le terme « Smart », novlangue moderne des élus à qui on ne peut opposer d’aller vers le progrès, reste très flou. Référence au numérique, un des objectifs du plan est d’amener le très haut débit au pied des stations pour fournir un service performant au touriste citadin. Xavier Corne veut lui aller un peu plus loin : « Intelligent, c’est aussi une meilleure maîtrise de la consommation de l’énergie, la production d’énergies renouvelables, des transports électriques, des bâtiments mieux isolés… » Estrosi, ou comment réinventer la poudre… blanche.
Clément Chassot
Enquête publiée dans le Ravi n°146, daté décembre 2016