Sarkozy versus Juppé : 50 nuances de bleu
17h55
Salle Vallier à Marseille, ce 27 novembre 2016, le laxisme règne : « C’est un objet en métal dans votre poche ? Très bien, rentrez. » A l’intérieur, effet Bygmalion, c’est cheap : il y a encore les buts de hand et une vieille pom-pom girl avec ses boules tricolores. On est parqué dans les gradins.
Salle Gérard Philipe à La Garde, près de Toulon, ce même 27 novembre 2016, le vigile ne plaisante pas et malgré notre résistance, il exige de récupérer le bouchon de notre litre d’eau : « S’il vous prenait l’envie de le jeter, vous pourriez blesser Alain Juppé ! » La salle communale a gardé les stigmates d’une vieille soirée disco. Il reste une boule à facettes au plafond. Sur chaque chaise, un drapeau tricolore made in china emballé. Les journalistes sont installés derrière le public. Un médecin qui dit gérer la campagne de Juppé à Marseille – mais refuse de nous donner son nom – nous fait un clin d’œil : « Avant, je soutenais Sarko, mais maintenant il est un peu trop… », mimant une moustache hitlérienne avec ses doigts.
19h06
Sarkozy arrive sur du sous-Vangélis. Le député Renaud Muselier se paye Juppé : « Il est venu nous "chatouiller". Mais nous, on nous critique pas. On nous aime ou on s’en va ! » Et, avant Gaudin, Martine Vassal, présidente du CD 13, exhorte « la majorité silencieuse à dire ce qu’elle pense. » Accoudée à la barrière de l’espace presse, on va la subir tout le long du meeting, la « majorité silencieuse ».
Toujours pas de Juppé… Soit il a croisé une balle perdue dans les quartiers nord de Marseille, soit il s’est noyé dans la rade de Toulon… On nous passe du Obispo pour patienter : « Holidays… ho ho lidays. » Sauvé ! Onze minutes plus tard son crâne dégarni fend la foule. Quelques « Juppé président » fusent venant principalement des « JAJ » (Les jeunes – à têtes de vieux – avec Juppé). Applaudissements du public mais pas d’hystérie générale. Mariton et Raffarin sont dans la place.
19h36
« Nicolas » donne le la : « Je ne veux pas une alternance molle. Si vous voulez une politique de gauche, ne votez pas pour moi. » Et, avant de dérouler sa partition, règle, par Bayrou interposé, ses comptes avec Juppé : « Je ne laisserai personne vous voler votre primaire. Je veux une primaire ouverte. Jusqu’où ? Jusqu’à la loyauté. » Traduction, dans notre dos, de la « majorité silencieuse » : « Bayrou salope ! »
Au micro se succèdent des élus locaux dont le député-maire de Hyères, Jean-Pierre Giran, porte parole de Juppé dans le Var, qui cite tous les présidents de la Vème République en oubliant Chirac ! « Ce qui me bouleverse ce n’est pas que tu m’aies menti c’est que désormais je ne pourrai plus jamais te croire », Jean Léonetti, député-maire d’Antibes, cite Nietzche et précise qu’« Alain Juppé ne mentira pas aux Français ! »
19h46
Sarkozy retrouve sa panoplie de flic : « Le premier défi, c’est l’autorité. » Et « la peine, la première des préventions ». Mieux que les peines-plancher : « Au 4e délit, tout délinquant verra sa peine augmenter de 25 %. Au 5e, de 50 % »… Et face au terrorisme, il promet un « référendum » pour « mettre en rétention administrative toute personne dont la dangerosité est préoccupante ». Quant au « délinquant étranger, à la minute où il sort de prison, il faut qu’il soit mis dehors ». La « majorité silencieuse » exulte : « La racaille dehors ! »
« C’est toi le patron Hubert ! », hurle une personne dans la salle lorsque Falco monte à la tribune. « Le Var n’appartient à personne ! », prévient le sénateur-maire de Toulon visant Sarko.
20h00
A l’école, le petit Nicolas veut « des notes, des récompenses, des sanctions ». Et des « internats pour les perturbateurs. Si les parents refusent, on leur supprimera les allocations ». La « majorité silencieuse » explose : « Les arabes dehors ! » Et n’en peut plus quand est promis le retour du « service militaire ».
Falco comme les autres ironise sur « nos ancêtres les Gaulois ».
20h04
Ça y est, on rentre dans le dur : « Je sais dans quelle ville je suis. J’aime la tolérance, la différence. Mais on a oublié qui nous sommes. Et cédé devant la tyrannie d’une minorité. Avec le burkini, c’est quoi, l’accommodement ? La moitié du burkini ? Et avec le voile ? » Et, au nom de la défense du « droit des femmes », Sarkozy martèle : « Ici, c’est la France ! » La « majorité silencieuse » hurle : « Et ceux qui sont pas contents, ils dégagent ! »
Standing ovation pour le propagandiste de « l’identité heureuse ». Juppé remercie chaudement Falco, un soutien dont il se souviendra « sur la durée ». Tacle Hollande : « une France dont le président pèse… 4 % ! » Il insiste sur l’importance d’une primaire « ouverte à tous » mais a conscience que pour la présidentielle « il faudra mouiller la chemise… car quand on est à 4 % on ne peut que remonter ». Les JATDVAJ twittent à mort !
20h10
« NS » attend une accalmie pour glisser : « Certains ont un problème avec les Gaulois. Moi, je n’ai aucun problème avec l’islam. Mais nos racines sont judéo-chrétiennes. Et quand on vit en France, on vit comme un Français. Et si on ne veut pas, on n’est pas obligé de vivre en France ! » La « majorité silencieuse » n’a plus de mot. Pour l’achever, on lui promet un « référendum pour suspendre le regroupement familial ».
« La sécurité est la première des grandes libertés républicaines » : Juppé veut rétablir les RG et propose 10 000 policiers de plus. Il dit oui aux étudiants étrangers, oui à l’établissement d’un quota d’immigration comme « au Canada », oui au regroupement familial mais sous condition de ressources. Oui à l’accueil de réfugiés dans les villes mais par petites unités « ainsi les Français ouvrent leur cœur ». Tout le monde n’applaudit pas, on est dans le Var tout de même !
20h25
Le social, l’économie, Sarkozy les expédie. C’est l’heure de la Marseillaise. La « majorité silencieuse » la massacre consciencieusement. Toujours un peu en retard. Toujours à contre temps.
« La Laïcité c’est d’abord garantir la liberté de religion […] Mais toute religion doit respecter les lois de la République. Il n’y a pas de place pour la Charria en France. » Forts applaudissements, on est dans le Var tout de même !
20h39
Pendant que la « majorité silencieuse » est interrogée par un collègue, Muselier, lui n’arrive pas à se débarrasser des mamies qui le harcèlent pour un selfie, un autographe et plus si affinités…
« Que se passe-t-il ? Vous êtes en train de me déconcentrer ! », lance Juppé à un homme du public, sûrement un agent de sécurité avant de reprendre sur le plein emploi. Pour tous les autres sujets, il donne rendez-vous au Zénith [de Toulon] pour en parler ! Se posant ainsi en vainqueur de la primaire. Et de conclure par une anaphore, comme en écho : « Je ferai TOUT pour que la France optimiste emmène dans son élan la France morose […] Je ferai TOUT pour que la France soit une, […], fière de ses valeurs, heureuse de retrouver le bonheur de vivre ensemble […] »
20h55
Drapeaux en berne, « la majorité silencieuse » attend le tram. Sans mot dire. Mais en en pensant pas moins…
Falco se colle à la droite de Juppé pour entonner la Marseillaise. « Il faut encore qu’il muscle son discours, à la Chirac ! », nous lance notre médecin dans un dernier clin d’œil.
Sébastien Boistel & Samantha Rouchard
Article publié dans le Ravi n°145, daté novembre 2016