Recherche gauche désespérement
La large victoire de François Fillon à la primaire de la droite n’a pas ravi que les cathos traditionalistes, les nostalgiques de Margaret Thatcher ou les penseurs d’extrême droite comme Patrick Buisson et Eric Zemmour. A gauche aussi on se frotte les mains ! A défaut d’un avenir radieux, certains voient en effet dans le programme réac de « mister nobody » l’occasion de remobiliser l’électorat de gauche pour 2017.
A leur décharge, le bilan du quinquennat de François Hollande n’a rien d’exaltant. Les inégalités n’ont pas reculé, les renoncements ont été multiples et plusieurs fois la ligne rose a été franchie (déchéance de la nationalité, la loi travail, accueil des migrants). Résultat, la gauche ressemble de plus en plus à l’OM : elle subit défaites sur défaites. « Aujourd’hui, les utopies sont à droite et soutenues par des fictions réactionnaires, s’inquiète le psychanalyste Roland Gori. La réalité et le sentiment de déclassement balancent les classes moyennes soit du côté de la vieille France libérale, soit du côté des populistes et nationalistes. »
Co-initiateur de l’Appel des appels lancé en décembre 2008, une invitation à « l’insurrection des consciences » contre le culte de la performance dans les services publics, ce professeur émérite de psychopathologie fait partie de cette « gauche qui continue de produire des idées », pour reprendre les mots du politologue Rémi Lefebvre (voir ci-contre). « Les sciences sociales, les sciences politiques, l’histoire, les politiques publiques sont dominées par des gens de gauche, assure l’enseignant chercheur à Lille 2. Mais les politiques, notamment de gauche, les méprisent. Ils attendent de ces intellectuels des solutions, des propositions techniques, pas une vision du monde » Et de rappeler : « Dans un des livres confession qui vient de sortir, Hollande estime que "tout a été pensé". »
Gauche caviardée
Les intellectuels, en effet, ne manquent pas d’idées pour redonner un avenir à la gauche. Rémi Lefebvre renvoie par exemple au sociologue Michel Lallement, « pour qui la crise de la gauche doit être l’opportunité de développer l’économie sociale et solidaire, l’économie partagée ou encore l’économie collaborative ». Pour le politologue, le rapport de la gauche aux classes populaires, et non plus la seule classe ouvrière, reste cependant la priorité. Et d’interroger : « Comment créer une nouvelle identification collective, une nouvelle alliance électorale avec les milieux populaires alors que la gauche représente un entre-soi de classe moyenne intellectuelle et diplômée ? »
Face à l’OPA du néolibéralisme sur l’avenir (ubérisation de la société, etc.), d’autres plaident pour que la gauche cesse de subir la mondialisation, qu’elle remette de la démocratie dans son verre, qu’elle dépasse l’Etat nation et l’Etat providence ou encore qu’elle revienne au socialisme originel de Proudhon et à son associationnisme (mutuelles, coopératives…) (1). De son côté, l’économiste Jean-Louis Laville, co-directeur des Gauches du XXIe siècle. Un dialogue Nord-Sud (Le bord de l’eau, 2016), voit dans l’expérience sud américaine récente « un patrimoine international » dans lequel piocher. Exemples : intégration de la question sociale, création d’une sociologie publique, mise en place de budgets participatifs ou encore soutien institutionnel aux initiatives citoyennes. Pour ce professeur du CNAM, il faut plutôt faire attention « aux émergences qu’être fasciné par les alternatives grandioses » et intégrer la société civile dans la gestion des affaires (2).
Autant dire que ladite société civile est fin prête. « Aujourd’hui, la gauche n’est pas dans les institutions ou les partis, elle est dans la rue et dans toutes les expressions associatives qui, sujet après sujet, défendent ses valeurs », insiste Jean-Marc Robert, secrétaire départemental de Solidaires 13. Il en veut pour preuve le local marseillais de sa fédération syndicale où se retrouvent également Greenpeace, Amnesty International, ainsi qu’Attac Marseille et ses satellites (Eau bien commun Paca, Collectif pour un audit citoyen de la dette, etc…). « Toutes les semaines il y a cinq ou sept débats, chaque mois plusieurs projections de films. On fait le travail de fond qu’a réalisé le parti communiste dans les années 70 et 80 », poursuit le délégué du personnel Sud Pôle Emploi.
Fin de l’histoire ?
Président d’Attac Marseille, 76 ans au compteur, Antoine Richard a été placé en garde à vue en janvier dernier pour avoir participé à une réquisition de chaises d’une agence de la BNP afin de dénoncer ses filiales dans les paradis fiscaux. Pour lui, les organisations de gauche étant devenues inefficientes, il faut qu’elles « écoutent, favorisent de nouvelles formes d’action, parfois rebelles parce qu’elles permettent d’agir sur l’état, comme Luxleaks avec la loi Sapin 2 sur la protection [toute relative, Ndlr] des lanceurs d’alerte. Il faut également qu’elles s’intéressent aux multiples initiatives collectives de production, d’échanges, de solidarité ». « Il faut même les institutionnaliser, estime de son côté Josiane Tessier, sa camarade en donnant en exemple l’écriture en ateliers participatifs de la nouvelle constitution islandaise. Et cette ancienne communiste de poursuivre : « En travaillant sur ce type d’expériences, on peut retrouver la situation des jours heureux, qui a permis l’imagination de la sécurité sociale en pleine seconde guerre mondiale. »
De l’écoute et la mise en œuvre de leurs pratiques par la gauche, c’est également ce que demandent Khamel Fassataoui et Mike Wright. Et même très concrètement. Le premier est directeur de la communauté Emmaüs de la Pointe rouge à Marseille, le second du centre social de La Croix des Oiseaux à Avignon. « Le principal chantier que devrait mettre en place la gauche, c’est une vraie décentralisation, estime simplement l’Avignonnais. Avec comme préalables que l’échelle pertinente du territoire soit définie avec les structures de terrain et que les services déconcentrés et les élus viennent rencontrer les gens. » Et d’insister : « Si tu te rapproches, tu peux les impliquer, donc mettre en œuvre des politiques. »
De son côté, s’il regrette l’abandon des utopies par la gauche, qui l’empêche de changer un système devenu « boulimique » et de repenser l’écologie ou les inégalités, Khamel Fassataoui, lui, regrette qu’on ne « s’intéresse pas assez à ce qui marche, à ce dont on a besoin. » « Des évolutions comme la trêve hivernale ou le droit au logement, c’est grâce à la fondation Abbé Pierre et à nous, les praticiens », rappelle le travailleur social. Et de conclure, désabusé : « L’utopie, c’est peut être que la France doit toucher le fond pour changer. » En ce qui concerne la gauche, c’est ce que beaucoup espèrent.
Jean-François Poupelin
1. « L’avenir de la gauche », Esprit n°427, septembre 2016. 2. Mediapart, « inventer la gauche au XXIe siècle« , 19/06/2016.
Enquête publiée dans le Ravi n°146, daté décembre 2016