Ravier feat Zemmour : bas du Front

Devant nous les grilles du parc Chanot, doublées d’un barrage de Robocops attendant de pied ferme le collectif unitaire antifasciste marseillais venu s’opposer, ce jeudi 19 avril, au « débat » entre le sénateur frontiste Stéphane Ravier (RN), candidat à la mairie de Marseille, et le polémiste d’extrême droite Éric Zemmour.
Un meeting qui n’est pas du goût des antifascistes. L’un des organisateurs de la contre-manifestation est parmi les premiers sur les lieux. Et on ne la lui fait pas : « Il y a 4 voitures de la BAC qui tournent un peu partout depuis tout à l’heure et ils ont des téléphones avec nos photos. » Trois ans plus tôt, il avait tenté de s’introduire à une conférence de Zemmour à Marseille, mais sa course s’était brutalement arrêtée sur la pelouse du Château de la Buzine où se tenait l’événement.
Petit à petit, l’esplanade se remplit. Des membres de l’assemblée de la Plaine, des Squales, du collectif du 5 novembre, des syndicalistes, des sympathisants de Génération-s, des Insoumis, une militante de la Ligue des Droits de l’Homme, ou encore des étudiants en socio.
Au loin on croit apercevoir un gilet jaune. Mais ce n’est qu’un cycliste précautionneux… Au milieu des bannières, un habitué des rassemblements trouve le choix du lieu osé : « C’est un lieu symbolique aussi le stade vélodrome ! » Un étudiant infirmier habitant Saint-Just déclare la mine grave : « Je ne pensais pas qu’un mec comme Ravier pourrait être élu ici. »
Tout ce beau monde est maintenant entouré par une haie d’honneur policière faite aux berlines allant vers l’entrée et une équipe de Bacqueux aux aguets. Un grand dadais arborant un T-shirt avec les noms des morts du 5 novembre, nous raconte ses démêlés avec la police lorsqu’elle protégeait un événement du Bastion Social, groupe néofasciste récemment dissous. Face aux forces de l’ordre, les chants d’ailleurs s’élèvent : A las barricadas, Bella ciao… Les gardiens de la paix aident un couple à se frayer un chemin vers la conférence. Nous leur emboîtons le pas. Et croisons la relève qui sort de l’un des 15 camions de police situés sur le parking.
UNE FOULE RAVIE(R)
Après ce comité d’accueil, une longue file nous attend devant les portes du Palais des Congrès. Chaque participant passe au détecteur de métaux. L’occasion de faire connaissance avec les fans du duo d’un soir. Une palette d’âge assez large, de l’étudiante aixoise en sociologie au militant frontiste décati. Tous impatients de voir leur idole converser avec le fils du pays devenu sénateur. Un vigile prévient : « On fait deux files. Les hommes à gauche, les femmes à droite et ceux qui ne savent pas ont 5 minutes pour se décider. » Ça ricane : « C’est l’imam de Marseille qui l’a demandé ! »
Les gens discutent en petits groupes, échangent sur leurs parcours politiques. Pour certains, « la France n’existera plus en 2100 ». D’autres, plus prévoyants, cherchent des volontaires pour une formation champêtre au maniement des armes. Revient sans cesse le « c’était mieux avant » : « Dans les années 70 toutes les femmes avaient les seins nus sur les plages », nous confie-t-on. La belle époque ! Carte d’identité exigée à l’entrée : « Sortez vos titres de séjour », rigole un militant. Pas de doute, la soirée sera sous le signe de l’esprit et du bon mot.
Une fois à l’intérieur, au rayon « librairie », on n’a le choix qu’entre Le suicide français d’Éric Zemmour et Destin français de Zemmour Éric. Au fil des minutes, tout le monde prend place dans l’auditorium. Entre deux bises, une jeune femme prévient une proche : « Fais gaffe dehors il y a les antifas. » Ceux-là même qui ont eu le don d’énerver notre voisin de siège : « Je leur ai fait un doigt d’honneur », plastronne celui qui se dit prêt à distribuer quelques marrons. Sa femme, cruellement, lui rappelle son âge.
RENCONTRE EN TERRAIN CONNU
Une silhouette s’avance sur scène, celle d’une jeune femme chargée d’animer la soirée, faisant applaudir tout d’abord un personnage « profondément marseillais » : Stéphane Ravier entre sous les clameurs, au son d’AC/DC qui n’en demandait pas tant. Puis vient le tour du polémiste tant attendu Éric Zemmour. L’écrivain évoque sa passion de l’Histoire, née avec sa première lecture : Napoléon de Castelot. Ravier l’élève boit les paroles du professeur Zemmour : « La France a définitivement perdu ? », questionne par exemple l’hôte.
Très vite, la discussion vient sur l’Algérie. « L’Algérie est importante à Marseille ? Ça se saurait… » glisse Ravier, s’assurant les rires du public. L’élu fait huer les propos d’une « sénatrice marseillaise » saluant le rôle des algériens dans la construction française. Et assène : « C’était les Français qui avaient fait naître l’Algérie. » Puis de dévoiler avec la finesse qui le caractérise l’identité de l’opposante : « Madame Samia G, le point G de Marseille ». Samia Ghali a depuis porté plainte pour injure sexiste… Au parc Chanot, la maîtresse du « débat » propose, en substance, de sortir de l’Algérie. « A Marseille ? C’est dur ! », raille Zemmour.
Suit le volet immigration. Zemmour se voudrait historien. Ravier, lui, fait dans l’anecdote. Et de revenir sur le refus de nommer une place « Arnaud Beltrame », héros de l’attentat de Trèbes. Huées du public. « C’est qui ? » demande une voisine à son mari… Pour étayer sa thèse sur l’islam et l’intégration, Éric Zemmour s’appuie sur… Lévi-Strauss ! « C’est pas Goebbels quoi ! » Ravier précise : « Goebbels n’était pas au Front National, hein ! » « Il aurait pu… », renchérit un spectateur.
Lorsque le sénateur dénonce le « bien vivre ensemble » de Gaudin, le polémiste cite le théoricien du grand remplacement Renaud Camus : « Vivre ensemble, il faut choisir. » Applaudissements. On enchaîne sur l’identité. Sans antisèche, Ravier défend la figure de Panisse chez Pagnol comme allégorie du marseillais. Et se fait pointu sur l’accent. Pour Zemmour, c’est Marseille qui est une pointe vers la mer : « Soit on part de Marseille pour coloniser en face, soit on vient de Marseille pour coloniser la France… »
Et ça finit sur le voile, Macron, avant quelques questions du public abordant « grand remplacement » et « démocraties illibérales ». Concernant Notre-Dame de Paris, Zemmour, méfiant comme Ravier sur l’origine du sinistre, déclare : « Celui qui n’est pas ému aux larmes devant l’incendie de Notre-Dame n’est pas français. » Le public s’enflamme, les journalistes fatiguent.
Après 3 heures de show, nous nous dirigeons vers le parking, où les « agités du bocal », dixit Ravier, ont laissé la place aux forces de l’ordre. Dans le métro, Florian, étudiant en droit, se dit ravi de sa soirée, ses mains cramponnant son exemplaire dédicacé. Un convaincu. Sans jeu de mot.