Rafale de tomates dans les quartiers Nord
Ils ne trouvaient pas de travail, alors ils ont choisi d’en créer un à leur image. Naturel et sans artifices. Comme ce potager à flanc de colline dont ces huit adeptes d’agriculture urbaine, tous diplômés de l’école nationale supérieure de paysage, s’occupent à tour de rôle, depuis août 2014 : 1000 m² de terres cultivées à Sainte-Marthe, un quartier au nord de Marseille ! Du printemps à la fin de l’automne, ce « gang » écoule chaque semaine des centaines de légumes en tous genres : haricots, oignons, fèves, petits pois, patates, basilic, piments, pistou, courgettes. Sans oublier de mentionner ce qui est déjà devenu leur marque de fabrique, avec 700 pieds et 28 variétés : les tomates ! « On se croirait en pleine nature, alors qu’ici nous sommes bel et bien en ville », commente Maxime Diedat, un des membres fondateurs de Terre de Mars. Difficile d’imaginer en effet que le Mas des Gorguettes est à seulement 300 mètres des cités dites « sensibles » du Castellas et de Saint-Jérôme, tant le silence y règne en maître…
Ces fameux « quartiers nord » de Marseille sont décidément bien complexes. Sorte de conglomérat d’îlots d’habitations, tantôt moyens et huppés, tantôt défavorisés. Des frontières invisibles qui rendent la communication entre voisins difficile. Un cloisonnement contre lequel le collectif entend lutter à sa petite échelle. Si les légumes de Terre de Mars ne circulent pas encore dans les cités voisines, des liens existent déjà avec les quartiers pavillonnaires adjacents au domaine. Les voisins viennent se servir librement. Un système basé sur la confiance qui pourrait, à terme, être élargi aux quartiers plus défavorisés. « On laisse des paniers à disposition et les résidents du Mas des Gorguettes viennent se servir quand ils en ont envie. Ils laissent en échange un peu d’argent. On leur fait entièrement confiance, le tout est de nous prévenir à l’avance », explique Arthur Gouy, 24 ans, cuisinier de l’équipe, et champion de coulis de tomates à ses heures.
LA PEDAGOGIE PAR L’EXEMPLE
Quant à Virginie Alexe, 27 ans, son « truc » à elle c’est la pédagogie. Alors avec les enfants de l’association Les Petits débrouillards – un collectif des quartiers nord qui développe des activités d’éveil scientifique et culturel – elle organise des rencontres autour du potager. De 10 heures du matin à 4 heures de l’après-midi, la jeune femme tente d’éveiller les papilles des enfants, tout en leur faisant découvrir la ville sous un autre angle. « L’objectif n’est pas de dire comment consommer, mais de montrer que l’agriculture peut aussi se pratiquer en ville, et qui plus est, qu’elle peut produire des légumes sains et de grande qualité, souligne-t-elle. Ce qui peut paraître à première vue contradictoire. » Virginie Alexe explique patiemment aux écoliers les différences entre des tomates industrielles et celles cultivées naturellement. Une belle tomate n’est pas forcément bonne, c’est même souvent le contraire : « Les tomates des grandes surfaces possèdent 25 fois moins de nutriments que celles de notre potager. Chez les grands distributeurs, c’est l’aspect extérieur qui entre en ligne de compte… »
Un mode de production entièrement naturel, qui redonne un sens au terme biologique, usité pour des besoins marketing jusqu’à plus soif. « Le seul traitement que nous appliquons sur nos légumes est de la bouillie bordelaise, deux fois l’an », explique Maxime Diedat. Si le collectif a pris le pari de n’utiliser aucun engrais chimique, c’est avant tout pour préserver le cycle naturel des êtres vivants. « Les produits chimiques viennent détruire un maillon de la biodiversité nécessaire aux plantes. La chaîne alimentaire est cassée. Il devient alors nécessaire de traiter davantage pour rétablir l’équilibre. » Ce qui frappe d’abord le visiteur, c’est l’omniprésence des mauvaises herbes. Elles grimpent le long des plants, elles s’agglomèrent en touffes, au point de ne plus pouvoir distinguer les légumes de la paille. Cet aspect sauvage est essentiel. Il garantit un « paillage » qui nourrit la terre et assure sa richesse. « Quand on arrache quelque chose qu’on ne veut pas, on le laisse par terre. Cela apporte de la matière organique », note Maxime Diedat.
UN REMPART FACE A L’URBANISATION
Outre l’envie de manger sain et de produire local, le projet Terre de Mars est une manière de lutter contre la machine à broyer qu’est l’urbanisme marseillais. L’objectif était de rénover la vieille bastide et les terres qui ont vu grandir Augustin Tempier, l’un des membres fondateurs de Terre de Mars. Le Mas des Gorguettes appartient à ses parents qui en laissent gratuitement l’usage au collectif. Pour l’instant protégé par le PLU, son éventuel abandon serait un prétexte suffisant à une opération immobilière. Preuve en est, un canal en contrebas du terrain marque la frontière avec de très fraîches constructions. « Cela fait chaud au cœur de voir que des jeunes gens poursuivent notre combat, ça me remplit d’espoir », confie Monique Bercet, présidente de Colinéo, une association voisine (au sens propre comme au figuré) qui cultive 2500m² de terre de l’autre côté du vallon. « On préserve le savoir-faire provençal d’antan et on protège nos terres de l’urbanisme », ajoute Monique Bercet. Des similitudes qui ont poussé les deux associations à collaborer étroitement.
Quand Terre de Mars investit tous les mardis soir un restaurant du 1er arrondissement afin de vendre ses légumes, les paniers sont complétés par des courgettes de chez Colinéo. Et inversement, le collectif de Monique Bercet propose des tomates « made in Mas des Gorguettes » lors de ses ventes directes du mercredi soir. Des initiatives, pour qu’à terme les quelques agriculteurs urbains de Marseille puissent tisser un réseau. Une manière de rendre la ville plus verte et d’exercer une pression politique. « Mises bout à bout, nos petites actions pourraient permettre de retrouver du bon sens, de chercher du plaisir dans le travail, pour que les gens saisissent que les coûts de production humains et naturels sont aussi importants que le produit fini », affirme Manon Dieny de Terre de Mars.
Sensibiliser pour créer des engouements. C’est un peu ce que réalise Terre de Mars au contact de leurs « clients ». Ces derniers se succèdent entre 18 heures et 20 heures le mardi soir au What’s up, en centre ville. Jeunes comme grisonnants sont des habitués. Fanny, une prof de français de 34 ans, découvre ainsi son panier commandé à l’avance en se réjouissant : « Je déteste faire les courses, ici tout est déjà prêt, c’est moins cher et c’est meilleur. » Philippe, cadre supérieur de 54 ans, répète aux jeunes paysans « qu’il ne faut surtout pas lâcher », pendant que sa femme n’en finit pas de les complimenter sur la saveur de leurs tomates… Lorsqu’ils les cultivent sur les hauteurs de Sainte-Marthe, les membres de Terre de Mars ont une vue imprenable sur Marseille. Un horizon qui leur donne envie de réinventer la ville…
Sylvain Labaune
Ce reportage a été réalisé par le mensuel le Ravi et publié par Basta ! dans le cadre d’un partenariat réunissant des médias citoyens et de proximité.