Satire toujours juste
« Ah ! Ah ! Ah ! » Si chez Siné Mensuel faire mal « ça fait du bien », il y a des sujets qui font quand même rire jaune (1). L’engouement pour la presse satirique après les attentats de janvier 2015 par exemple.
« Aujourd’hui, il n’y a pas plus de travail pour les dessinateurs », dénonce Catherine Siné, rédactrice en chef du mensuel qui « chie dans les bégonias ». Explication de la femme du dessinateur anar mort il y a deux ans : « Les régies pub demandent que leurs titres ne passent pas de dessins parce que c’est trop polémique. » Et Cyril Bosc, un lecteur et collectionneur de presse satirique, qui fait autorité dans le milieu, de souligner : « Ça na pas changé grand-chose. On accorde juste un peu plus de sérieux à l’impact du dessin de presse. C’est le seul mode de langage à avoir foutu en rage des mecs. »
Si le dessin n’a plus bonne presse, la presse satirique ne se porte, elle, finalement pas si mal même si Le Psikopat publie ce mois-ci son dernier numéro, un peu par lassitude de ses animateurs mais aussi pour s’investir dans de nouveaux projets . Cyril Bosc recense une quinzaine de titre sur toute la France. Le Canard Enchaîné a passé une année 2017 exceptionnelle (diffusion en hausse de 11,5 %) grâce à la présidentielle en général et l’affaire Fillon en particulier. Charlie Hebdo (1) revendique encore 70 000 ventes hebdomadaire, toujours deux fois plus qu’avant les attentats. Siné Mensuel « tire la langue mais s’en sort », dixit sa rédac chef. Zelium reste un « irrégulomadaire » zélé, le Ravi ne baisse toujours pas les bras, Le Sans culotte 85 garde son pantalon et réussit l’exploit de vivre de ses ventes…
« Les dessins, c’est trop polémique ! »
« J’ai l’impression qu’il y en a de plus en plus et un peu partout », apprécie même Samuel Autexier, un des cofondateurs de La Canarde Sauvage, lancé en 2015 à Forcalquier (04), la bourgade des Alpes-de-Haute-Provence dont Christophe Castaner, le premier flic de France, a été maire et député. « Son ascension ne nous a pas servit. Plus il monte, plus on a du mal à se faire entendre », râle le militant. Au chômage technique depuis quelques mois faute d’imprimante et de temps, il cherche aussi à fusionner son « journal local et satirique à parution plus ou moins mensuelle » avec un projet des Insoumis de son coin. « Pour qu’on ait un réseau plus fort, mais aussi pour qu’ils ne s’adressent pas qu’à leur chapelle », poursuit Samuel Autexier. Et de noter : « Si la presse satirique est un peu partout, c’est peut-être parce que la presse militante est un peu chiante. » Mélenchon va encore voir rouge…
Cyril Bosc, entrepreneur en matériaux écolos de 45 ans, qui entasse les numéros de quelques 300 titres nationaux et internationaux jusque sur le palier des chambres de ses filles, trouve lui aussi la presse satirique « trop sérieuse ». En résumé, une victoire de l’esprit du Canard enchaîné – « un journal qui maltraite les dessins selon Siné », gronde sa veuve – sur celui d’Hara Kiri et de Charlie Hebdo première génération. « Même Siné mensuel ne prend pas de risque », regrette le collectionneur. Raisons de cet assagissement : « Après la victoire de Mitterrand en 81, la presse en général et la société se sont rangées par calcul ou fainéantise. En plus, Val et Cabu ont voulu faire un Charlie de gauche bien pensante à partir de 1992. »
Pire. « C’est aussi très dur de passer après la génération des Reiser, Willem, Wolinski. Cavana et Choron. Ils ont inventé un truc qui n’a pas été renouvelé », reconnaît Cyril Bosc. Et c’est aujourd’hui pour lui la principale faiblesse de cette presse qui propose « une expression décalée des choses » et dispose d’un contexte très favorable – « grande liberté d’expression, système de diffusion et talents ». Le collectionneur voit d’ailleurs la relève plutôt dans des titres esthétique et/ou poétiques comme Mon Lapin Quotidien, édité par l’association, que dans les Gorafi ou autre titres et comptes tweeter parodiques.
Des « pastiches », boude Cyril Bosc. Tout en rappelant que la presse satirique a eu « des périodes fastes » : 1830-1850, l’entre-deux guerres, et même certaines périodes de Hara Kiri (années 60) et Charlie Hebdo (années 70). Catherine Siné est encore plus optimiste : « Le désir de ne pas se faire imposer ce qu’on lit revient ! » Comme ont dit au Groland (Canal+) : « Banzaï ! »
1. Selon sa rédactrice en chef, Siné Mensuel prépare « un gros truc sur Marseille » pour son numéro de janvier.
2. Contacté, Charlie Hebdo n’a pas répondu à nos sollicitations.