Quand le social se met à la « Macron » économie
Un petit poisson qui apprend aux autres à se regrouper pour chasser les gros : c’est une image (1) prisée par le groupe SOS, le « n°1 » de l’Economie sociale et solidaire (ESS), une entité créée en 1984 qui compte 400 structures, et 15 000 salariés… On y voit un poisson frétillant de la queue pour rejoindre ses petits camarades avec pour slogan « Construisons ensemble » : une métaphore visuelle afin d’inciter les associations – en difficulté ou non – à rejoindre un groupe surnommé, de l’aveu d’un de ses salariés (2), « la pieuvre. Parce que SOS est partout et, avec ses tentacules, rafle et avale tout ».
Son patron, Jean-Marc Borello, est une fable (3) : éducateur originaire de Gardanne (13), après un passage à Aix-en-Provence, il découvre la nuit parisienne et, avec Régine, s’attaque aux problèmes d’addiction, pour, petit à petit, se diversifier. Aujourd’hui à la tête d’un groupe « sans actionnaires ni capital » qui pèse 650 millions de chiffre d’affaires, il est l’un des délégués nationaux d’Emmanuel Macron. Et vient de sortir, chez un éditeur, Débats publics, dont PPDA est le directeur de collection et Pierre Gattaz du Medef un des auteurs, son manifeste : « Pour un capitalisme d’intérêt général ». Confidence d’un socialiste marseillais : « C’est avant tout un homme de réseaux. Un temps proche du PS, il est désormais au centre. Et au centre, la gauche, la droite, c’est très fluctuant. »
Monopole associatif
En Paca, SOS compte une trentaine de structures, et pas que dans le social (lire encadré). Et si le groupe se vante d’appliquer à ce secteur les méthodes du privé, l’argent public ne le dérange pas. Commentaire d’un salarié : « On se revendique de l’entrepreneuriat social. Deux mots qui ne vont pas ensemble. Sauf à dire qu’on fait du fric sur la pauvreté. Ou qu’on fonctionne comme dans le privé. En bénéficiant de toute la panoplie des financements publics (collectivités, Etat, Europe…). »
A Marseille, outre l’ouverture d’un Centre d’accueil des demandeurs d’asile, SOS gère désormais l’unité d’hébergement d’urgence (UHU) de la Madrague à Marseille. Sans qu’il y ait eu vraiment mise en concurrence. Interpellé par Jean-Marc Coppola, du PCF, le préfet à l’égalité des chances, Yves Rousset, a répondu : « Le principal motif qui n’a pas permis de retenir la proposition d’Adoma provient de son statut de Société d’économie mixte, qui mettait la Ville dans l’incapacité juridique d’allouer une subvention à ce type de structure sans passer par la procédure des marchés publics. »
Interrogé, Rousset reste droit dans ses bottes : « Si l’on est passé par une procédure de gré à gré, c’est parce qu’on venait de dénoncer la convention avec l’ancien gestionnaire et qu’il nous fallait un remplaçant rapidement. » Et quand on demande si c’est ainsi qu’il défend la diversité associative, le Préfet rétorque : « Sur ce terrain, SOS n’était pas présent. Et puis, ce sont des pros. » L’adjoint au social de Gaudin, Xavier Méry, ne nous répondra même pas. Peut-être parce qu’il devrait y avoir, fin 2017, un appel d’offre pour la gestion d’une structure dont la ville veut se désengager. « Si l’on a été choisi, c’est parce qu’on a une expertise dans ce type de reprise en urgence et parce qu’on connaît le terrain, le public et les problématiques », assure le représentant régional de SOS, Pascal Fraichard. Des « audits » sont en cours et une « redéfinition » de l’UHU à venir.
La représentante en Paca de la Fnars (4), Marjolaine Ducrocq, elle, n’en revient toujours pas : « On suit le dossier depuis des années et c’est la presse qui nous apprend le remplacement d’AMS (Association de Médiation sociale) par SOS. Et alors qu’on nous assurait que tout allait bien, du jour au lendemain, parce qu’il y a urgence, on assiste à un changement de gestionnaire. » Si, comme Coppola ou Marie-Arlette Carlotti, députée PS, elle ne regrettera pas AMS, elle s’interroge sur « l’arrivée de gros acteurs associatifs qui, peu à peu, se retrouvent en situation de monopole ». Et qu’importe si SOS fait partie de la Fnars : « Dans plusieurs régions, on voit les petites associations se mobiliser pour préserver la diversité. Ce qui n’est pas, au sein même de la Fnars, sans tensions. »
Déséquilibre et concurrence
Même tonalité à la Fondation Abbé Pierre : « Au-delà de Borello, si SOS pose question, estime le délégué Paca, Fathi Bouaroua, c’est parce qu’il symbolise ce qui se passe au sein de l’ESS où des acteurs de plus en plus gros appliquent les mêmes logiques que dans le reste de l’économie au niveau mondial avec la constitution de monopoles autour de quelques multinationales. Des logiques de regroupement, de prédation de la part de structures qui ne font plus que répondre à des appels d’offre taillés pour elles. Ce qui exclut les petits. » Et d’ajouter : « Avant, face à une problématique, on trouvait sur le terrain des solutions et l’on allait voir les institutions pour des financements. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Il faut rentrer dans des cases. Ça tue l’innovation. » D’autant que SOS s’investit aussi sur des dispositifs expérimentaux, comme « Tapaj » (5), des chantiers payés à la journée pour ramener des jeunes vers l’emploi.
Fraichard, de SOS, noie le poisson : « Bien sûr, il y a une richesse associative à préserver. Néanmoins, peut-être y-a-t-il un problème de visibilité du travail fait et la volonté des autorités d’avoir moins d’interlocuteurs. Après, chacun fait avec les possibilités qu’il a. C’est le jeu de la concurrence. Avec, c’est vrai, des déséquilibres. Mais on n’est pas là pour tout faire disparaître. » En attendant, les autres associations font le dos rond. Soit, comme nous le dit un ancien de SOS, « se concentrer sur un terrain ultra-spécifique où il n’y a personne d’autre ». Soit, nous explique le salarié d’une structure de réduction des risques, « mutualiser des postes, des actions… Car, face à de tels acteurs et à une réduction du montant comme du nombre d’enveloppes, c’est ça ou se faire absorber ».
Une opération qui semble tout sauf indolore. Cinq ans après avoir fait le choix, « devant la dégradation du contexte économique auquel font face les associations de développement international », de s’adosser au groupe « qui nous semble donner le plus de garanties de pérennité et d’autonomie managériale », avec l’ambition de devenir « la principale association de Solidarité Internationale » de SOS, personne au sein de l’association marseillaise Santé Sud ne souhaite nous expliquer comment s’est passé cette mutation. Mais un document interne semble indiquer que la greffe n’a pas été simple…
Comme l’a souligné Borello, en 2012, dans un entretien où il se félicite de « tutoyer la moitié des patrons du CAC 40 » : « Le secteur [de l’ESS, NDLR] pêche par sa mosaïque de petites structures, qui nuit à sa compétitivité face aux privés. » Une phrase que Fraichard refuse de commenter, comme le rapprochement de son patron de Macron. Soupir d’un éduc’ passé lui aussi par SOS : « Malheureusement, c’est ce qui se fait partout. La seule différence, c’est que SOS assume tout haut ce que tout le monde fait sans oser l’avouer… »
Benoît Hamon, ancien ministre de l’Economie sociale et solidaire, en campagne à Marseille pour son élection à la tête du PS, n’a pas manqué de se faire les crocs sur Macron : « Il nous dit qu’il aime la finance. C’est aussi absurde que de dire qu’on aime les poissons ! Parce que, chez les poissons, y a des sardines. Et des requins ! » Encore qu’à Marseille, une sardine, ça peut vous boucher un port…
Sébastien Boistel
1. Inspirée de l’album pour enfants Pilotin de Leo Lionni, l’image a été réutilisée, notamment, par la CNT.
2. La plupart de nos interlocuteurs, passés ou non par SOS, ont demandé l’anonymat. Ambiance…
3. Ni Jean-Marc Borello ni la direction du groupe SOS n’ont souhaité répondre à nos questions.
4. Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion.
5. Travail alternatif payé à la journée.
Enquête publiée dans le Ravi n°148, daté février 2017